À propos de cette édition

Éditeur
Solaris
Genre
Science-fiction
Longueur
Novelette
Paru dans
Solaris 119
Pagination
5-19
Lieu
Gallix
Année de parution
1996

Résumé/Sommaire

Une secte réunie autour d’un gourou se prépare à la fin du monde. Dans quelques heures, à l’aube, le cortège des Élus rejoindra l’Éternel dans les cieux. Pendant ce temps, l’assistant d’un bio-informaticien surveille sur les écrans l’évolution d’un biomonde programmé appelé EDEN. Il constate qu’une des unités bionumériques se développe rapidement et exerce un ascendant sur les autres cellules. C’est ainsi que {/thea}, dans sa dimension, devient une divinité.

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Commentaires

Cette fascinante nouvelle d’Alain Bergeron dresse un parallèle entre le développement d’un virus dans un programme informatique et les conditions favorisant l’éclosion d’une secte religieuse. Le récit alterne entre la description du quotidien des membres de la Commission des Élus du Jour venu et des leviers psychologiques dont se sert le gourou pour endoctriner son « troupeau », d’une part, et les observations cliniques du surveillant du biomonde EDEN – nom chargé d’ironie –, d’autre part.

En plus de ces deux trames narratives, Alain Bergeron a recours à une troisième voie pour explorer de l’intérieur les stratégies et les réactions de la cellule artificielle face à son environnement. Son évolution déjoue les prévisions du programme et lui permet d’acquérir un statut de divinité – {/thea} signifie déesse en grec – et de devenir immortelle même après son sacrifice car elle est désormais inscrite dans la mémoire de ses congénères. Cette sorte d’évangile du culte de {/thea} – fragment 17 de la nouvelle – sert de jonction entre les deux autres trames qu’elle éclaire de façon magistrale. La naissance de cette religion cathodique dont l’auteur dépeint poétiquement les étapes et le sort de {/thea} évoquent de façon limpide la mort du Christ et le partage de son corps – la communion.

Alain Bergeron montre ici qu’il est un excellent vulgarisateur scientifique. Ce qui aurait pu donner lieu à une démonstration théorique sèche et désincarnée est au contraire d’une clarté ahurissante, sans que « l’exposé » fasse l’économie des nuances, car l’auteur multiplie les exemples avec les agissements de l’Ange, le leader de la secte. Pensons à la « communion » pratiquée par celui-ci, prétexte à la satisfaction de ses pulsions sexuelles. Il y a cette cellule mutante, un gourou qui cherche la voie de l’autre-monde (hors du programme informatique) comme le prophète qui exerce son emprise sur ses fidèles pour trouver la voie du Paradis.

L’idée géniale de Bergeron, c’est d’associer la religion à un virus. Sa critique acerbe de la foi aveugle et de l’abdication de la pensée serait considérée comme blasphématoire dans un pays islamique. La religion de l’Ange n’est qu’une farce – on pense à Moïse Thériault, de triste mémoire – et la figure du Dieu juste et bon, une sinistre supercherie.

Mais la nouvelle d’Alain Bergeron n’est pas que cela. Elle propose aussi une stimulante réflexion sur la vie artificielle et sur la nature même de l’Homme. « N’oubliez pas qu’il y a vingt ans, les manuels de biologie refusaient de compter les virus au rang des êtres vivants parce qu’ils ne répondaient pas à certains critères traditionnellement associés à la vie. […] Notre conception du vivant ne cesse d’évoluer. […] À partir du moment où vous cessez d’accorder une importance indue au matériau constitutif, comme le carbone ou l’oxygène, la différence cesse de vous apparaître très grande entre un virus naturel et un virus informatique. »

Si tout est matière, en quoi celle qui constitue l’Homme est-elle différente de celle qui est créée artificiellement ? L’être humain ne serait-il qu’un sujet de laboratoire, qu’une cellule programmée dans une expérience qui s’étend à la grandeur de l’univers ? Dans les dernières lignes de la nouvelle, le monde-programme recouvre tous les mondes. Est-ce la fin du règne de l’intelligence humaine ?

Outre sa finale ambiguë, « {/thea} ou le Jour venu » se termine sur une vision extrêmement pessimiste et cynique de l’existence. Il y a là une influence certaine du courant cyberpunk. On est ici aux antipodes du triomphalisme des récits de space opera et de colonisation de planètes. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1994, Alire, p. 26-28.