Guy Bouchard

Parution : Féminisme et Androgynie : explorations pluridisciplinaires, Les Cahiers du Grad 4, Sainte-Foy, Université Laval, 1990, p. 5-42.

Guy Bouchard entend démontrer dans cet essai que la thématique de l’androgynie, loin de renforcer les stéréotypes et de valoriser l’hétéro­sexualité comme le prétendent plusieurs théoriciennes féministes, participe au projet utopique et constitue tout naturellement l’enjeu majeur de la plu­part des utopies féministes. Pour ce faire, il revient au discours d’Aristophane dans le Banquet de Platon, l’un des textes fondamentaux de la tradition androgyne, et propose une relecture du mythe. Or, « loin d’être un plaidoyer en faveur de l’hétérosexualité, le récit d’Aristophane est une apologie de l’homosexualité masculine », ce que les lectures féministes de cette fable n’ont pas constaté. 

En effet, ces lectures peuvent se répartir en quatre caté­gories qui marquent une progression dans le détournement du sens de ce texte : occultation de la supériorité de l’homosexualité masculine au profit de l’homosexualité en général et de l’androgynie, occultation de tout privilège homosexuel, occultation du diandre et de la digyne et, enfin, neutra­lisation du diandre et de la digyne. En faisant la synthèse de différentes définitions de l’androgynie (Martin, 1974 ; English, 1981 ; Stimpson, 1974 ; Warren, 1980 ; McBee et Blake, 1974 ; Roszak, 1969), le chercheur en arrive à déve­lopper la matrice d’un champ définitionnel fournissant 56 conceptions diffé­rentes de l’androgynie par suite de la combinaison de caractéristiques qui se situent à différents niveaux (psychologique, comportemental, biologique) et qui ont une valeur positive ou négative. Quatorze de ces conceptions sont formulées en termes de « société idéale », problématique qui est celle de l’utopie au sens large et de l’hétéropolitique (utopie, s’il s’agit de textes relevant du domaine de la fiction et para-utopie, dans le cas de textes théoriques).

Guy Bouchard analyse ensuite un corpus de 26 utopies féministes afin d’y voir comment leurs auteures utilisent le concept de l’androgynie. Il s’attend ainsi à retrouver dans ces œuvres, à des degrés divers, l’un ou l’autre des trois modèles majeurs de société meilleure imaginés par le féminisme contemporain, porteur d’une dimension hétéropolitique : « la société androgyne égalitaire, qui accepte les hommes comme partenaires à part entière d’un nouveau contrat social ; la société gynocratique, qui consi­dère les hommes comme une espèce dangereuse à maintenir sous tutelle ; et la société gynocentrique, d’où les hommes ont été complètement éliminés. » 

Au terme d’une analyse détaillée, Bouchard note que l’androgynie psycho-comportementale a la faveur des auteures car 21 des 26 récits l’inscrivent dans un cadre eutopique. Pour Bouchard, cette prépondérance de l’androgynie psycho-comportementale sur l’androgynie biologique illustre que les romancières, comme les théoriciennes féministes, ne sont pas obnubilées par le déterminisme biologique et qu’il y a moyen d’instaurer des sociétés eutopiques dans un monde sexué mais non sexiste. Ce sont plutôt les rôles sexuaux qu’il faut abolir car dans 14 récits du corpus, le maintien des rôles traditionnels donne lieu à une dystopie. Le théoricien conclut en affirmant que « les utopies féministes androgynes nous incitent ainsi à repenser le réseau des rapports entre l’essentialisme, l’androgynie, l’andro­centrisme, le gynocentrisme, la gynocratie et le féminisme. »   

Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1990, Logiques/Alire, p. 205-206.