Jean Du Berger

Parution : Studies in Canadian Literature, vol. 4, n˚ 2, Fredericton, 1979, p. 35-43.

Jean Du Berger rappelle que pour l’homme de la tradition populaire, le thème du voyage évoque la misère, le déracinement et non pas l’évasion hors du cadre quotidien aliénant comme l’ont représenté les écrivains du XIXe siècle. L’ethnologue situe en 1884 le plus ancien témoignage en Amérique du Nord au sujet de la chasse-galerie, une forme particulière de voyage. Dans son recueil Legends of Le Détroit, Marie Caroline Watson Hamlin reprend les traditions françaises conservées par de vieux résidents de Détroit. La chasse-galerie emprunte toutefois plus d’une forme.

Pour sa part, Jean Du Berger retient trois représentations auxquelles il donne un sens commun : il s’agit d’un « acte de révolte total en ce qu’il manifeste le choix libre de la mort éter­nelle ». Ces trois tropes sont la course du canot dans les airs, la meute de chiens de chasse qui traverse le ciel et la silhouette du Chasseur sauvage condamné à ne pas connaître le repos après sa mort. 

En fol­kloriste émérite, Du Berger remonte aux origines du mythe en passant d’abord par la tradition poitevine qui nous a légué le seigneur de Gallery pour aboutir, dans la mythologie germanique, à Odin, conducteur de la chasse sauvage, qui nous mène à Wode, « démon de la fureur qui entraîne avec lui dans des courses folles les âmes des morts ». Que reste-t-il de cet archétype illustrant le passage des morts en route vers leur destin dans la littérature canadienne-française de la fin du XIXe siècle ? Du Berger déplore la perte de sens, l’appauvrissement de cette puissante image des mythologies du Nord. Cette réduction du récit légendaire par l’écriture s’explique, selon lui, par la situation culturelle du Canada français qui, à cette époque-là, connaît une évolution rapide qui se traduit par le passage d’une société traditionnelle à une société moderne. Ce faisant, l’élite se révolte contre ces croyances popu­laires et comme celles-ci sont en partie liées aux croyances religieuses, elle s’efforce d’affaiblir l’idéologie de l’Église en la remplaçant par un autre discours, laïc celui-là, qui contribue à la désacralisation de la légende.

Par-delà l’évolution narrative et idéologique du thème de la chasse-galerie qu’il a esquissée, Jean Du Berger reste impuissant à répondre à une question : Pourquoi la chasse-galerie vole-t-elle dans le ciel du Canada français ? Car, selon Jung, une telle manifestation des sens répond à une « tension affective issue d’une situation de détresse collective, qui peut être soit un danger collectif, soit une nécessité vitale de l’âme ».

Source : Janelle, Claude, Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 230-231.