Lise Morin

Parution : imagine… 65, Sainte-Foy, 1993, p. 61-72.

Comme l’indique le titre de son étude, Lise Morin analyse la nouvelle fantastique de Marie José Thériault, « Les Cyclopes du jardin public », en exposant le mécanisme de séduction dont le personnage masculin est le jouet. Elle établit d’abord une distinction entre « un discours de la séduction qui vise à gagner l’adhésion du lecteur », et un discours sur la séduction qui « donne à voir la fascination exercée par une créature maléfique sur son humaine proie ». Reconnaissant que ces deux types d’envoûtement sont parfois intimement liés, elle se concentre sur le second discours qui opère, pourrait-on dire, en trois temps : le leurre, la réification et la transformation.

Le paysage naturel et urbain qui se modifie à l’encontre de toute vraisemblance compose un décor factice, principal agent du leurre qui appâte la victime, auquel il faut ajouter le personnage de l’Eurasienne qui guide l’homme. Cette femme joue sur le double sens de séduire : plaire et tromper. L’essayiste montre aussi que la séduction de l’homme, qui entraîne sa réification – perte du statut chez le sujet qui devient un objet de consommation –, tire profit de certains attributs de la victime : faible sens de l’observation, absence de clairvoyance, manque total d’imagination, difficulté à interpréter correctement le réel. Si bien que, dans le fantastique, avance Lise Morin, la victime se fait complice de son agresseur en cédant à l’attirance ou à la fascination. 

La phase finale qui suit la pétrification de l’homme mène à sa transformation en cubes de chair crue servis sur des canapés. Ainsi, le fantastique inverse les rôles : le consommateur potentiel que représentait l’homme en observant le contenu des vitrines de la rue commerciale chinoise qu’il emprunte est lui-même consommé par des douzaines de femmes semblables à l’Eurasienne. Lise Morin conclut son exposé en rappelant que la victime, qui est en définitive responsable de son sort, a au moins « l’insigne privilège de contempler la beauté du diable ».

Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1993, Alire, p. 224.