Lise Morin

Parution : imagine…61, Sainte-Foy, 1992, p. 59-68.

Si la définition du fantastique est si fuyante, c’est, selon l’auteure, parce qu’elle repose le plus souvent sur des paramètres thématiques qui fluctuent selon les époques : « les invariants qui confèrent quelque stabilité aux définitions sont à chercher du côté structural » (p. 59), compte tenu de la pertinence d’au moins un constituant thématique, l’irruption d’un événement contraire au code construit dans le texte. Après avoir précisé que le fantastique requiert l’acceptation du sens littéral, qu’il n’existe pas hors du domaine artistique, et que l’occurrence étrange qu’il convoque doit avoir un certain retentissement sur l’ensemble du texte, l’auteure en propose la définition suivante : « Le récit fantastique peut être décrit comme une mosaïque de discours (ou de fragments discursifs) conflictuels, émis ou non par la même instance énonciative, dont les uns tendent à accréditer l’existence de faits qui heurtent la raison commune (la gamme s’étend de l’impossible au surnaturel en passant par l’improbable), tandis que les autres, qui se rat­tachent au réalisme le plus étroit, invalident l’insolite à grand renfort de lieux communs » (p. 61).

La suite de l’article est consacrée aux deux formes majeures du fantastique, et tout d’abord au fantastique canonique. Apparu à la fin du XVIIIe siècle, mais s’étant surtout développé à partir de 1830, celui-ci exacerbe la tension entre le témoin et son monde, puisque le héros se refuse à admettre l’existence de l’événement problématique, ce qui oblige le narrateur à recourir volontiers « à la rhétorique de l’argu­mentation pour asseoir la crédibilité de la thèse surnaturelle » (p. 62). Par ailleurs, une fatalité brute traverse le récit, dont elle est même un facteur d’organisation, réglant l’enchaînement des événements dans une sorte de pan-déterminisme qui incite le personnage à subir son épreuve jusqu’à un dénouement qui, le plus souvent, est fortement dysphorique.

Le néo-fantastique, lui, a émergé quelque part entre 1920 et 1950. De facture plus désinvolte, il parodie son frère cadet (néanmoins siamois ?) : dérouté par l’événement inhabituel, le personnage finit en effet par s’en accommoder, l’élasticité des normes devenant l’emblème d’un monde en mutation à la signification changeante, ce qui serait un signe de modernité. Moins tributaire des techniques argumentatives, le néo-fantastique fait un usage différent du réalisme, s’employant par exemple à abolir l’écart entre l’insolite et l’habituel. La fatalité s’efface devant le hasard ou l’absurde, la peur devient détachement ou curiosité, l’humour est souvent au rendez-vous, et le héros, plus actif, bénéficie souvent d’une fin euphorique ou neutre. Mais, qu’il participe de l’un ou de l’autre registre, « le texte fantastique inscrit dans sa trame un événement qui offense une loi nommément admise » (p. 66). Aussi n’y a-t-il pas de discontinuité entre ces deux modes, le plus récent nous offrant une image inversée du plus ancien.

Source : Bouchard, Guy, Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 246-247.