Marc Angenot

Parution : imagine… 31, Montréal, 1985, p. 18-23.

Le théoricien de la SF commence par définir l’anti-utopie. Ce genre prend la contrepartie polémique de l’utopie et des conceptions qu’elle avance. Ainsi, l’anti-utopie s’oppose à la conception bourgeoise du Progrès qui « [...] prétend mettre en parallèle la marche positive du progrès scientifique et technique et du progrès des mœurs ». L’anti-utopie s’inscrit aussi en faux contre la « [...] conception socialiste d’une évolution nécessaire vers un état de société égalitaire... » car pour elle, les besoins d’épanouissement de l’individu et les principes d’organisation sociale soumise à une cohérence collective sont irréconciliables. L’anti-utopie se construit autour de l’image négative de la ruche ou de la termitière, métaphore de l’aliénation de l’individu. Ce genre se présente donc comme « [...] une protestation littéralement réactionnaire... » en se montrant hostile à l’industrialisation et au socialisme. Il prône indirectement le statu quo en défendant des valeurs humaines immuables. Marc Angenot affirme que l’origine de l’anti-utopie en France date de 1846, année de parution du roman d’Émile Souvestre, Le Monde tel qu’il sera. On trouve déjà dans ce texte l’axiomatique du genre sous des formes qui resteront constantes durant plus d’un siècle, établissant ainsi clairement l’existence d’une tradition dotée d’une certaine continuité.

Angenot s’arrête à deux autres auteurs, Fernand Giraudeau à qui on attribue l’ouvrage anonyme intitulé La Cité nouvelle (1868), et Albert Robida, considéré comme le grand maître de la conjecture d’anticipation à la fin du XIXe siècle. Il analyse leurs stratégies idéologiques qui sont orientées contre les idées de Fourier et Saint-Simon. L’essayiste note toutefois que Robida ne se conforme pas totalement au modèle de l’anti-utopie car l’angoisse totalitaire lui manque. Tous ces auteurs français sont les précurseurs d’un genre que les Zamiatine, Huxley et Orwell ont utilisé avec succès.

Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1985, Le Passeur, p. 147-148.