Michel Lord

Essai. Québec, Université Laval, Centre de recherche en littérature québécoise, coll. Essais 2, 1985, 157 pages. ISBN : 292080104X
Réédition : Québec, Nuit blanche éditeur, coll. Cahiers du Centre de recherche en littérature québécoise, 1994, 180 pages. ISBN : 9782921053211

Il flotte au-dessus des thèses (le mot entendu ici dans son acception universitaire) un formidable scepticisme comme s’il ne pouvait s’agir à chaque fois que d’une démonstration supplémentaire de la force d’inertie qui trop souvent règne sur les nobles institutions d’enseignement. Comme je soupçonne par ailleurs le milieu SFQ d’être particulièrement réfractaire audit bastion (en dépit ou à cause de la présence très visible des Vonarburg, Gouanvic, Saouter-Caya et Lord), je crains qu’on passe outre à l’ouvrage du dernier nommé, Michel Lord, auteur d’En quête du roman gothique québécois (1837-1860). Ce serait dommage car le sous-titre, Tradition littéraire et imaginaire romanesque, est d’une lecture profitable dans ce champ de la science-fiction et du fantastique où l’on confond volontiers imaginaire et application méticuleuse de recettes éprouvées. 

Dès l’avant-propos, l’auteur a la prudence d’une mise en situation thématique précise (l’analyse symbolique interne) même s’il ne peut résister à la tentation d’ouvrir une piste sur une lecture politique de ces romans écrits au milieu du siècle dernier et qu’il a choisi de relire dans une perspective gothique (aidé pour cela par les arguments mythocritiques de Gilbert Durand). La chose est d’autant plus titillante que le roman est apparu ici l’année même de la Rébellion. Le propos de Lord, je le répète, se limite judicieusement au récit de la vie et de la mort du roman gothique qui aura été notre romantisme à nous.

Tout le monde le dit depuis que quelqu’un qui s’appelait peut-être Gide l’a d’abord affirmé : on ne fait pas de bonne littérature avec des bons sentiments. Et de ces bons sentiments, on en trouve en masse dans la littérature québécoise d’il y a un siècle.  Michel Lord nous entretient donc d’héroïsme, d’honnêteté, de foi. Mais il y a des vilains (mais alors de gros méchants vilains !) et, comme on le sait depuis bien avant Gide, les méchants sont tellement plus intéressants que les bons ! Les machines dramatiques s’enclenchent, nos héros (dont il faut remarquer qu’ils débordent les frontières nationales comme si le territoire n’avait pas les limites qu’on lui reconnaît maintenant) courent bois et océans pour en arriver à leurs fins (j’aimerais tellement suggérer ici le singulier...).

Comme Michel Lord n’a pas eu de préoccupations mimétiques, il ne s’est pas affublé lui-même de bons sentiments, de sorte qu’il est peu probable que ses lecteurs se précipitent sur les textes narratifs d’Eugène L’Écuyer, Joseph Doutre, François-Réal Angers, Philippe Aubert de Gaspé fils, G. Boucher de Boucherville et Éraste D’Orsonnens. Ils continueront à leur préférer Lewis, Radcliffe, Maturin et Walpole. Mais peut-être s’engageront-ils dans la voie ouverte par l’auteur et chercheront-ils à en savoir plus long sur cette remarquable coïncidence chronologique de 1837. Cette année-là, l’héroïsme s’est vécu en dehors des romans. Mais là aussi les bons sentiments n’ont pas suffi.

Source : Pellerin, Gilles, L'ASFFQ 1985, Le Passeur, p. 159-160.      

Références

  • Courville Nicol, Valérie de, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VII, p. 315-317.