Guy Ménard

Parution : Orwell a-t-il vu juste ?, Sillery, Presses de l'Université du Québec, 1986, p. 215-230.

Guy Ménard situe son étude dans le prolongement de celle d’Yvon Desrosiers qui faisait une lecture religiologique de 1984. Il s’intéresse plus particulièrement à la question du salut et ne se prive pas de faire appel à plusieurs disciplines des sciences humaines, que ce soit l’anthropologie ou la psychanalyse. L’essayiste rappelle qu’il y a deux écoles de pensée chez les socio-religiologues. Peter Berger soutient « […] que si toutes les religions offrent à leurs adeptes une explication du monde (une théodicée), toutes en revanche ne leur offrent pas nécessairement de salut ou de rédemption ». Par contre, Van der Leeuw a tendance à considérer toute entreprise religieuse comme étant par essence porteuse de salut. 

Contrairement à Desrosiers qui croit que le salut repose sur Winston Smith, Ménard estime qu’il faut chercher ailleurs quelque espoir de salut inscrit par Orwell dans 1984 car la trahison finale de Smith met fin à tout espoir. Il va explorer deux pistes sotériologiques distinctes mais peut-être convergentes : la sexualité, accompagnée de sa puissance de séduction (le Sexpoir du titre), et l’existence des prolétaires (l’Esprol du titre). Ménard met d’abord en lumière l’ambiguïté de la séduction chez Smith. La séduction de Julia est suivie d’effets quasi thaumaturgiques tandis que celle d’O’Brien, à saveur masochiste, le conduit à sa perte. 

L’essayiste montre que le personnage de Julia est beaucoup plus intéressant dans cette quête sotériologique. Sa sexualité affranchie de la morale conjugale océanienne et des codes d’un certain romantisme amoureux illustre l’immoralisme éthique des masses (Maffesoli). Julia est proche de ce prolétariat qui, disposant d’une certaine liberté sexuelle, semble avoir conservé la mémoire de cette socialité dionysiaque (Dionysos, dieu de l’amour et de la mort) anéantie par l’Angsoc dans le Parti. Mais l’auteur rappelle lucidement que le salut dionysiaque a peu à voir avec une quelconque fin progressiste ou catastrophique de l’Histoire puisqu’il s’épuise dans la jouissance du présent et demeure essentiellement tragique.        

Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1986, Le Passeur, p. 168.