Élisabeth Vonarburg

Parution : Visions d'autres mondes, Ottawa, RD/Bibliothèque nationale du Canada, 1995, p. 194-205.
Traduction : Women and Science Fiction, dans Out of this world, Kingston/Ottawa, Quarry Press/National Library of Canada, 1995, p. 177-187.

À partir d’un corpus essentiellement anglo-saxon, Élisabeth Vonarburg se penche sur l’évolution de la présence des femmes comme écrivaines dans la science-fiction. S’il est vrai qu’elles sont moins attirées, comme lectrices et créatrices, par une littérature liée à la science et à la technologie – encore qu’en milieu anglophone cette idée reçue soit moins indéniable qu’en milieu non anglophone –, celles-ci ont été de plus en plus nombreuses à investir le champ de la science-fiction depuis les années 1930. L’essayiste rappelle qu’avant même la naissance du genre, des femmes ont écrit des utopies à la fin du XIXe siècle et dans le premier tiers du XXe mais ces œuvres ont disparu sans laisser de traces.

Selon Élisabeth Vonarburg, l’arrivée en force des femmes dans la science-fiction américaine des années 1960, conjuguée au grand bouleversement social et politique de cette période, a transformé la face de la science-fiction, particulièrement en matière de représentation de la femme dans celle-ci. Elle considère que la démarche féminine dans l’expression littéraire a connu quatre phases. Il y a d’abord eu une phase de dénégation féminine qui se caractérise par l’utilisation de pseudonymes masculins ou d’initiales neutres et la valorisation de héros masculins perpétuant les stéréotypes « sexuaux ». Vient ensuite la phase de la revendication virile qui fait en sorte que le héros est désormais une héroïne pourvue d’attributs masculins comme la force physique, un passage obligé, semble-t-il, sur le chemin de l’égalité des sexes. La troisième phase est celle de la revendication féminine où on voit l’héroïne clairement définie comme femme et assumant sa féminité même si celle-ci est, en définitive, souvent stéréotypée dans le « registre Notre-Dame-de-la-Terre-sauveuse-du-monde ». L’œuvre de Catherine Moore, qui a commencé à publier dans les années 1930 en signant C. L. Moore, est représentative de ces trois phases de l’évolution-type de l’auteure de science-fiction. La quatrième a pour enjeu l’intégration « sexuale » idéale, phase assez rarement illustrée mais qui s’incarne dans le versant « utopie ambiguë » de l’œuvre d’Ursula Le Guin.

Élisabeth Vonarburg est consciente que cette évolution est « une vue de l’esprit » et qu’« aucune auteure n’a jamais suivi rigoureusement cette démarche ». Plus généralement, les auteures, dans les années 1940 et 1950, ont relevé les apories des modèles masculins et féminins, alors que dans les années 1960 et 1970, elles se sont faites militantes « flamboyantes », « réfléchies » ou « ambivalentes » et, dans les années 1980, plus ou moins « post-féministes ».

L’essayiste énumère en dernière analyse des thèmes liés à la physicalité (l’intégrité corporelle, la sexualité, la reproduction, les manipulations génétiques, le clonage) face auxquels les auteures et les auteurs ont une approche différente, ce qui prouve, à ses yeux, l’existence d’une science-fiction « féminine ». La convergence entre les femmes et la science-fiction demeure plus que jamais actuelle, pour Élisabeth Vonarburg, car « la femme est encore, dans la société contemporaine, l’Autre de l’homme ». Cela explique peut-être pourquoi les auteures s’illustrent tant dans l’exploration du thème de l’Autre « sous tous ses déguisements – extraterrestre, mutant, robot, androïde, cyborg ».

Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1995, Alire, p. 225-226.