Lise Morin

Parution : Québec français 91, Québec, 1993, p. 70-73.

Lise Morin aborde le thème de la folie dans le fantastique canonique en soulignant que les fantastiqueurs doivent faire preuve de doigté en mettant en scène un personnage gagné par la folie car « le fantastique ne peut survivre que si le récit propose à la fois des explications réalistes et des explications irrationnelles du phénomène insolite, sans accorder de préséance à aucune d’entre elles ». Elle vérifie cet enjeu dans trois nouvelles fantastiques québécoises : « Le Fragment de Batiscan » d’André Belleau, « La Main gantée » d’Annick Perrot-Bishop et « Les Messagers de l’ascenseur » de Gaétan Brulotte. Elle montre comment les trois auteurs ont réussi à maintenir l’état mental de leur protagoniste en équilibre entre la raison et la folie en évoquant trois situations qui peuvent donner naissance à la folie.

La première concerne le sentiment d’altérité qui tourmente la victime aux prises avec un phénomène irrationnel. Celle-ci se sent déchirée par des forces antagonistes, dépossédée de son pouvoir décisionnel et incapable de combattre ce qu’elle perçoit comme une volonté étrangère. Le deuxième lieu d’inscription de la folie se manifeste dans le divorce entre les sens et le sens. Le protagoniste fait face à un dilemme qui met en péril l’intégrité de la raison. Soit il décide de faire confiance à ses sens, ce qui l’oblige à accepter l’idée qu’une créature malfaisante complote sa perte (spectre de la paranoïa), soit il s’en remet à la raison et récuse ses perceptions, ce qui l’amène à conclure qu’il est halluciné.

La troisième situation met en cause l’écartement de la conscience entre deux systèmes de pensée contradictoires, fondement d’un ouvrage de Jean Fabre, Le Miroir de sorcière : essai sur la littérature fantastique. L’essayiste étudie le fantastique dans une perspective anthropologique en retraçant l’évolution du rapport au temps de l’homme, du primitif à l’homme moderne en passant par le Néolithique. C’est au XVIIIe siècle qu’apparaît la conscience moderne, schizoïde, déchirée entre deux modes de pensée : le temps historique (horizontal) et le temps cyclique (vertical). « L’hypothèse de Fabre veut que le fantastique exploite les vertiges de la conscience divisée », résume Lise Morin. C’est ce qu’elle montre dans les trois nouvelles étudiées en relevant le malaise des personnages « à établir entre des événements isolés un lien de causalité qui les oblige à postuler l’existence d’une puissance surnaturelle » dans nos sociétés technologiques où le surnaturel a mauvaise presse, faisant ainsi peser un soupçon de folie sur le protagoniste.

Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1993, Alire, p. 224-225.