Jeanne Demers et Lise Gauvin

Parution : Littérature 45, Paris, 1982, p. 5-23.

Les deux collègues de l’Université de Montréal se penchent sur la question des frontières qui délimitent le conte écrit ou « conte d’auteur », selon l’expression d’Anne Giard, en s’appuyant sur un corpus de douze textes québécois (sept du XIXe siècle, cinq du XXe siècle) qui ont en commun le thème du loup-garou. Le conte écrit entretient en effet des frontières communes avec le conte oral, l’exemplum, l’anecdote informative, la nouvelle et même le mythe. En ce qui concerne la frontière conte écrit/conte oral, les deux théoriciennes reprennent ici l’essentiel d’une communication au cours de laquelle elles ont avancé l’hypothèse de la sur-écriture du conte écrit et ont démonté les procédés compensatoires à l’œuvre dans le travail de re-création du conteur littéraire (voir résumé de « La Maison hantée de LeMay : préliminaires à une analyse du conte écrit »).

Une autre frontière qui délimite le conte écrit est le récit de type exemplum. Aucun des douze textes du corpus ne relève de cette catégorie qui se distingue du conte par son projet de convaincre d’une vérité totale hors de laquelle point de salut. Or le conte mise sur l’ambiguïté du discours qui le porte et instaure un véritable jeu de provocation-refus dont ne peut s’accommoder le récit exemplaire qui entretient un rapport essentiel avec la morale qu’il concrétise. De la même façon, la simple anecdote ne saurait accéder au statut du conte malgré leur frontière commune puisque la visée du texte est d’abord documentaire. Demers et Gauvin font intervenir ici la notion de littérarité pour départager les deux formes d’écrit, ce qui les amène à aborder la nouvelle dont la frontière avec le conte, pour être importante, est souvent mal connue.

Pour marquer où finit le conte et où commence la nouvelle, les deux essayistes comparent un conte de Pamphile LeMay et une nouvelle de Boris Vian qui ne fait pas partie du corpus mentionné précédemment. Le conte repose sur des règles dont il ne peut faire l’économie – pré­sence d’un conteur, utilisation d’un imparfait itératif, allusion à d’autres récits qui composent le répertoire, procédés de véridiction – et qui créent un horizon d’attente différent alors que la nouvelle ignore toute référence à l’oralité. De plus, la liberté prise par rapport au thème est toute relative dans le cas du conte tandis qu’elle est absolue dans la nouvelle. Enfin, le mythe borne le conte par certains aspects mais il s’en distingue par la relation narrateur-narrataire. Celle-ci s’établit dans un climat de complicité qui suppose l’égalité des participants dans le conte tandis que le mythe, qui impose sa vérité cosmique, forge un rapport d’autorité JE-tu.

Ces frontières avec les différents voisins narratifs du conte étant balisées, les deux professeures peuvent esquisser une première définition du conte en analysant le pacte narratif qui le constitue et différents procédés d’écriture. Elles notent en passant que deux savoirs, le savant et le populaire, se trouvent superposés dans le conte écrit et que l’inter­action de ces deux savoirs et pouvoirs donne lieu à une série d’oppo­sitions binaires. Et même si une définition opérationnelle reste à parfaire, elles concluent qu’il est possible d’étudier les différents types de contes et qu’il peut être utile de savoir que « le conte fantastique exige un ancrage constant dans le quotidien afin de faire ressortir l’étrangeté de l’événement par l’ambiguïté d’un discours qui la crée ». 

Source : Janelle, Claude, Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 225-226.