Paul Bleton

Parution : Les Ailleurs imaginaires, Québec, Nuit blanche éditeur, 1993, p. 39-51.

Parler de genre est vain, sinon ridicule, déclare d’emblée Paul Bleton pour qui il est nettement plus pertinent de s’intéresser à la catégorisation comme opération cognitive nécessaire dans l’acte de lecture. En fait, un livre fait l’objet de plusieurs classements et est donc l’occasion d’une négociation, tout comme d’un conflit possible, entre différentes instances. L’éditeur, le libraire, le critique universitaire, le critique fanique procèdent à une classification générique du livre. Bleton donne comme exemple le reproche de Norbert Spehner à la définition du fantastique de Tzvétan Todorov, jugée trop restrictive. Le « babélisme conceptuel » présent chez les éditeurs, de son côté, inclut sous un même label des textes génériquement divers ; le jeu des définitions s’effectue en fonction de la mise en marché d’une collection. Au moment où le lecteur ouvre un livre, une strate métalangagière s’est donc déjà créée et propose des repères, des fabulae (appartenant à un ou plusieurs genres) ; la « théorie générique spontanée » constitue le stade de l’identification/différenciation.

Loin d’être passif, le lecteur interagit avec le texte ; il utilise le paratexte du livre, repère des hiérarchisations, émet des prédictions… C’est le stade de la staobilisation/déstabilisation cognitive, qui repose sur plusieurs forces : la collection, l’« institution » propre à chaque genre, de même que l’existence d’œuvres typiques et exemplaires, comme Le Docteur Lerne, sous-Dieu (1908) de Maurice Renard, monument de la SF française archaïque.

La lecture constitue donc un mouvement de va-et-vient entre la perception (l’enchaînement) et les moments interprétatifs qui « nomment » pour mieux prédire ou organiser des régularités. Lire, déclare Bleton, c’est une pratique nominaliste ; tant le texte que l’auteur prévoient la coopération du lecteur et y contribuent. Toute expérience de lecture qui aura permis l’enclenchement d’interprétations, de prédictions, de reconnaissances sera ensuite recyclée lors d’autres lectures ; il en va ainsi du code herméneutique policier, qu’on retrouve dans différents genres, comme Y a quelqu’un ? (1979) de Philippe Curval. Bref, le genre n’est qu’un élément que le lecteur utilise pour interagir avec le texte.

Source : Beaulé, Sophie, L'ASFFQ 1993, Québec, Alire, p. 209-210.