Guy Bouchard

Parution : Solaris 112, Ville-Marie, 1994, p. 29-32.

Guy Bouchard se propose, dans cette étude, de réfuter les allégations de Sam Moskowitz qui prétend que les romancières de science-fiction adoptent la même attitude que leurs collègues masculins quand elles abordent le thème de la domination féminine : le rapport de force est tout simplement inversé et conduit aux mêmes inégalités fondées sur le sexe. Le chercheur rappelle qu’Élisabeth Vonarburg a déjà distingué chez les romancières, au fil du temps, quatre étapes dans leur approche des personnages masculins et féminins : la dénégation féminine (des auteurs au nom masculin qui confortent les stéréotypes sexuaux par l’entremise de héros masculins), la revendication virile (une héroïne pourvue d’attributs masculins traditionnels), la revendication féminine (une héroïne assumant sa féminité et triomphant grâce à ses vertus spécifiquement féminines) et l’intégration bisexuelle (des personnages combinant des qualités tant masculines que féminines, en somme des androgynes sur le plan psycho-comportemental, voire même au niveau biologique).

Prenant comme objet d’étude Chroniques du Pays des Mères, Guy Bouchard analyse le roman de Vonarburg sous l’angle du rapport entre les sexes. Si, de prime abord, le roman peut laisser croire à une simple inversion des rôles, il en va tout autrement comme le démontre l’essayiste en abordant la transformation de cette société sur les plans linguistique (néologismes féminins, mots masculins féminisés, prépondérance du féminin sur le masculin dans les accords), social (contrôle de l’économie et du savoir par les femmes) et symbolique (les jeux et la religion). En reconstituant le passé du Pays des Mères avec l’aide des éléments historiques contenus dans l’œuvre, il montre son évolution à travers le temps : l’époque des Ruches s’apparente à la revendication virile (une gynocratie qui prend la forme d’une dystopie noire pour les mâles), alors que le Pays des Mères correspond à une revendication féminine (une dystopie gynocratique rose pour les hommes, grâce à l’influence d’une religion et d’une philosophie pacifistes) qui laisse entrevoir pour l’avenir, à la fin du roman, une intégration bisexuelle (une plus grande participation des hommes à la vie sociale dans une société sexualement égalitaire). Le modèle de société androgyne, rappelle Guy Bouchard, est d’ailleurs très courant dans le corpus des utopies féminines contemporaines.

Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1994, Alire, p. 214.