Jean-Guy Nadeau

Parution : Revue d'histoire littéraire du Québec et du Canada français, vol. 3, Montréal, Bellarmin, 1982, p. 88-100.

Jean-Guy Nadeau souligne dans cet essai la contribution originale de Joseph-Charles Taché à la littérature nationale naissante du Bas-Canada. Alors que la tradition littéraire cherche à valoriser les exploits des aventuriers et militaires du Régime français et le travail de l’agri­culteur besogneux et paisible, ainsi qu’Aubert de Gaspé père, Patrice Lacombe et P-.J.-O. Chauveau l’ont fait notamment dans Les Anciens Canadiens et La Terre paternelle, Taché va à contre-courant de l’idéologie dominante en proposant un nouveau type de héros digne d’admiration : le voyageur et le forestier.

Héritier de Chateaubriand, Taché considère la forêt du Nouveau Monde non pas comme un lieu de perdition ou le domaine de Satan mais comme un espace de poésie et de grâce. Il a pu réhabiliter l’homme des bois en raison de son nationalisme et de son catholicisme au-dessus de tout soupçon. Par l’entremise du personnage du père Michel qui représente un peu son alter ego, il met en valeur les qualités, souvent méconnues, de ces aventuriers qui justifient l’admiration de ses lecteurs. Aux yeux du conteur, la campagne canadienne et, à plus forte raison la ville, apparaît, comparée à la forêt vierge, comme une nature viciée et dégradée.

À travers son recueil Forestiers et voyageurs, le médecin et député de Rimouski campe un prototype d’homme « vigoureux et dé­brouillard, discipliné, sensible et courageux, profondément religieux ». Nadeau illustre chacune de ces qualités en s’appuyant sur les récits du père Michel. Il révèle ainsi les caractéristiques de la société des voya­geurs basée sur la solidarité et la cohésion et il ne manque pas de mettre en évidence l’attachement de ces hommes à leur religion. Le portrait qu’il brosse des chantiers fait voir une société fortement hiérarchisée au sommet de laquelle règne le contremaître.

Taché fait enfin entrer dans la légende le personnage de Cadieux qui donne sa vie pour protéger ses compagnons contre une attaque des Iroquois. Ce héros-voyageur prend place aux côtés « des découvreurs, des missionnaires, des administrateurs et des guerriers que François-Xavier Garneau venait de proposer à la vénération des Canadiens ». Taché aura donc apprivoisé un nouvel univers romanesque, authentiquement canadien : les grandes forêts vierges. Il aura aussi contribué à réhabiliter un lieu considéré jusque-là comme malsain, un repaire du Malin. 

Source : Janelle, Claude, Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 247-248.