Jacques Vaillancourt

Parution : Images féministes du futur, Les Cahiers du Grad 6, Sainte-Foy, Université Laval, 1992, p. 101-113.

D’entrée de jeu, Jacques Vaillancourt rappelle que tout mouvement révo­lu­tionnaire doit relever le défi de la permanence sous peine de s’enliser dans le statu quo. Il en prend pour exemple le roman d’Ursula Le Guin, Les Dépossédés, qui met en scène une société utopique fondée sur l’anarchisme qui a oublié au fil des ans le sens de l’action révolutionnaire. Cette dégéné­rescence de l’esprit anarchiste s’exprime par le conflit qui oppose la volonté individuelle à la conscience sociale tel que vécu par le personnage principal, Shevek. Sa situation de savant le pousse à s’élever au-dessus des murs érigés par la société d’Anarres mais ce faisant, il s’expose à la pression de l’opinion publique exercée sur l’individu qui sort du rang. La conscience collective est une force positive quand elle amène l’individu à reconnaître son appartenance au genre humain. Elle peut cependant être oppressive quand elle devient un enjeu de pouvoir aux mains d’individus avides comme c’est le cas de certains Anarrestis.

La société décrite par Le Guin est incapable de reconnaître que la conscience individuelle de Shevek s’inscrit dans l’esprit anarchiste qui imprime à la révolution un caractère permanent alors que « le socialisme marxiste concentre tous ses efforts révolutionnaires en un moment de renversement du pouvoir ». Le Guin se distingue encore de Marx pour qui la conscience sociale est essentielle à la réappropriation de soi. Elle croit plutôt que « c’est l’individu irréductible qui donne sa force à la conscience sociale, il en est le participant et l’agent ». Le défi de l’anarchisme consiste donc à abattre toutes formes d’État tout en assurant la liberté de création et d’action de l’individu à l’inté­rieur même d’une conscience collective. En conclusion, Vaillancourt estime que, pour cette raison, l’anarchisme constitue un terreau favorable aux valeurs féministes, ce que Le Guin a brillamment pressenti en éliminant toute discrimination sexuale sur Anarres.

Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1992, Alire, p. 233.