Henri Cohen et Joseph J. Lévy

Parution : Orwell a-t-il vu juste ?, Sillery, Presses de l'Université du Québec, 1986, p. 133-154.

Les auteurs exposent dans cet essai les idées politiques de George Orwell sur la sexualité et l’érotisme. Lévy et Cohen notent que l’élimination de la famille et de l’érotisme constitue l’objectif ultime de la politique de Big Brother. Aussi, analysent-ils la condition de la sexualité dans 1984. L’écrivain britannique l’envisage en fonction de critères de classes. Dans le Parti, la sexualité est soumise à des règles de conduite rigides auxquelles s’ajoutent une ségrégation sexuelle poussée ainsi qu’une réduction significative des discriminants sexuels. Par contre, la classe ouvrière, du fait de sa situation marginale, jouit d’une plus grande liberté sexuelle. Pour Orwell, « […] les prolétaires deviennent les dépositaires du patrimoine émotif de l’espèce humaine ». 

Les conséquences du refoulement de la sexualité sont en effet énormes pour l’écrivain. Cette frustration est utilisée par le système politique qui la canalise en violence et en agressivité contre l’ennemi d’Océania et consolide ainsi son contrôle sur l’individu. Aussi, Orwell conçoit-il l’érotisme comme une « […] force révolutionnaire, tant sur le plan social que personnel, dans la mesure où il bloque les processus d’intervention dans la vie privée et maintient donc les liens interindividuels qui empêchent l’atomisation totale des rapports sociaux ». Toutefois, la trahison finale de Winston infirme cette conception : « […] l’érotisme n’est pas une force effective dans la lutte pour renverser les systèmes totalitaires ». 

Les auteurs soulignent que les conséquences de la répression sexuelle dans 1984 concordent avec les conclusions des travaux de Reich et de Walter. Les thèses essentielles d’Orwell se vérifient également dans les travaux historiques et sociologiques contemporains d’Alexandra Kollontai, de Shtern, de Zalkind et de Valensin, qu’ils portent sur les régimes d’Hitler, de Staline ou de Mao. Enfin, Lévy et Cohen essaient de prévoir quels seront les modèles familiaux, érotiques et reproductifs de la société dans vingt ans. Ils constatent que dans le monde occidental, « […] la sexualité est manipulée à des fins socio-économiques visant à promouvoir la consommation par le biais de l’érotisme ». Cependant, le danger le plus grand viendra des nouvelles techniques de reproduction qui pourraient conduire à l’instauration d’une biocratie qui, selon les auteurs, ferait alors paraître encore humaine, par comparaison, la société océanienne. 

Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1986, Le Passeur, p. 164.