Élisabeth Vonarburg

Parution : Les Voix de l'espace, Paris, Presses Pocket, coll. Le grand temple de la S.-F., 1994, p. 7-21.

Dans cette préface à une anthologie de nouvelles de science-fiction de Marion Zimmer Bradley, Élisabeth Vonarburg propose un survol des thèmes récurrents de l’œuvre de cette écrivaine américaine qui s’est illustrée autant en science-fiction qu’en fantasy. Elle traite ici uniquement du volet SF de cette œuvre qui, malgré les prises de position antiféministes de l’auteure – moins contre le féminisme, du reste, que contre un type de féministes, les radicales intolérantes et dogmatiques des années 1970 –, s’inscrit tout de même dans l’évolution de la SF écrite par les femmes et dans les problématiques explorées par celles-ci, estime la préfacière. Elle mentionne notamment la maternité, la reproduction et la « question de l’être femme dans une culture à la fois technologique et patriarcale qui définit essentiellement la féminité par la biologie, c’est-à-dire à la fois la sexualité et la capacité reproductrice ».

À l’aide d’exemples tirés de nouvelles mais surtout de la série de romans de Ténébreuse, Vonarburg met en lumière le point de vue de l’autre féminin sur le monde qui caractérise l’œuvre de Bradley dans la problématique de la présence humaine dans l’espace. Le traitement du rapport à l’extraterrestre, estime l’essayiste, est influencé par l’orientation sexuelle de l’auteure, bisexuelle puis homosexuelle déclarée. Cette évolution se cristallise dans la figure du chieri, ces non-humains extraterrestres qui possèdent les deux sexes. C’est aussi une façon pour Bradley d’aborder la question de l’homosexualité masculine et féminine en laissant tomber progressivement les masques.

Parmi les autres apports de l’écrivaine à la SF, l’essayiste relève la « critique de la société moderne, par le biais de l’opposition entre technophiles terrestres et technophobes de Ténébreuse ». Par opposition, toujours, à la technologie « dure » préconisée par les auteurs masculins, Bradley privilégie les pouvoirs psi, et plus particulièrement la télépathie qui « implique l’ouverture à autrui, une intimité qui peut être bouleversante, peut-être plus pour des protagonistes masculins qui doivent accepter ainsi une capacité affective ordinairement déniée aux hommes ». 

Pour Élisabeth Vonarburg, Marion Zimmer Bradley est une « proto-féministe » du fait que son œuvre, comme celle de son idole Leigh Brackett et de sa contemporaine Anne McCaffrey, se penche sur des thèmes qui préoccupent d’abord les femmes, moins par idéologie que par penchant personnel. En somme, Bradley, en tant que « bâtisseuse de monde à tendance utopique », a su proposer un regard lucide et original sur plusieurs motifs canoniques de SF en mettant à contribution la sociologie et la psychologie des groupes humains et sa position de marginale – une femme qui écrit dans un genre dominé par les hommes et, de surcroît, lesbienne. 

Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1994, Alire, p. 221.