Michel Lord

Parution : Les Ailleurs imaginaires, Québec, Nuit blanche éditeur, 1993, p. 93-107.

La constitution du corpus fantastique et de SF au Québec, de 1960 à 1985, établie par le groupe de recherche GRILFIC, a soulevé des questionnements divers. Michel Lord souligne qu’il existe deux types de rapports possibles entre la science-fiction et le fantastique, soit les rapports des textes entre eux, sur lesquels Lord s’attardera, et les rapports des textes avec les métadiscours, tels que ceux de la critique savante et de la critique journalistique.

L’établissement du corpus nécessite des critères théoriques qui permettent une classification satisfaisante des textes, puisque ceux-ci proviennent de lieux de publication divers et que certains apparaissent hybrides. Pour ce faire, le critique analyse les rapports entre certains éléments constitutifs à partir de « La Bouquinerie d’Outre-Temps » (1978) d’André Carpentier et du « Pont du froid » (1980) d’Élisabeth Vonarburg. Trois éléments s’en dégagent. D’abord, si tous les récits se ressemblent sur le plan des fonctions narratives, ils se distinguent dans leur rapport au référent. Les deux genres sont reliés par l’inscription de l’étrangeté, jugée étrange ou technique. La fantasticité repose sur une forme de relation référentielle ; il s’agit de la narration d’une chose improbable aux yeux de l’acteur et du lecteur, qui survient malgré tout. Dans la SF, le novum (Darko Suvin) produit un effet de normalité chez l’acteur et d’étrangeté pour le lecteur.

Deux procédés complètent ensuite le déroulement des séquences narratives, soit le discours descriptif et le discours évaluatif, autrement dit le questionnement sur le réel, l’étrange et le novum. La description constitue un véritable genre à l’intérieur du genre narratif. Dans le fantastique, le processus descriptif permet de créer un enchaînement d’effets allant de l’étrangeté à l’effet fantastique en tant que tel. Il en va autrement dans la SF, où on ne peut parler de relation entre le réel et l’irréel. Toutefois, le processus descriptif doit produire l’illusion de rationalité et de scientificité. Michel Lord dégage ainsi une différence majeure entre les deux genres. Tandis que le fantastique loge à l’enseigne de la rhétorique (la figure de style), la description en SF s’établit sous le signe du technème. L’organisation du descriptif est contraignante dans les deux genres, car il s’agit de créer l’illusion référentielle.

Enfin, une forme de dialogisme caractérise les deux genres, c’est-à-dire les retours du discours sur lui-même et ses relations avec le discours d’autrui. Le questionnement sur le réel et l’irréel varie selon les genres, mais l’irrationnel n’est pas l’apanage exclusif du fantastique, et le rationnel celui de la SF. Le texte de Vonarburg a ceci d’intéressant qu’il inclut une réflexion proprement fantastique, mais que la sanction – le résultat du questionnement – relève de la SF, car le rationnel l’emporte sur l’irrationnel.

Si les composantes du fantastique se distinguent de celles de la SF, on constate que les rapports internes entre les deux genres sont plus étroits qu’on ne le pense. 

Source : Beaulé, Sophie, L'ASFFQ 1993, p. 222-223.