Guy Bouchard

Parution : Moebius 64, Montréal, 1995, p. 33-41.

La réflexion de Guy Bouchard s’inscrit dans le dossier « L’imaginaire de la science » de la revue Moebius. Elle s’intègre en outre dans le sillage de son ouvrage Les 42 210 univers de la science-fiction (Québec, Le Passeur, 1993).

C’est par accident historique que la science-fiction a pris le nom qu’on lui connaît maintenant ; les noms qu’on lui a donnés, tels que « romance scientifique » ou « roman d’hypothèses », indiquent bien l’écart par rapport au réalisme et à la science. De fait, la science (et la pseudo-science) serait un alibi rhétorique dans la science-fiction, « un facteur de rationalisation ». Le genre se situe au-delà de la science, emprunte à la pseudo-science tout comme aux sciences humaines et aux domaines non scientifiques (la religion, par exemple). Le genre recèle ainsi une critique des prétentions de la technoscience, en particulier dans les utopies féministes de 1969 à maintenant. 

Ces œuvres se partagent selon quatre positions vis-à-vis de la technoscience, selon Bouchard. La première s’inscrit dans un cadre dystopique et illustre combien une technique spécifique peut servir à l’oppression d’un individu ou d’une collectivité. Bouchard donne, entre autres, l’exemple de La Planète des poupées (Christine Renard, 1972) et de Woman on the Edge of Time (Marge Piercy, 1976). Le deuxième groupe de textes appartient aussi à la dystopie ; la technoscience détruit la civilisation, voire toute forme de vie ; Le Silence de la cité (Élisabeth Vonarburg, 1981), par exemple, en est une illustration. 

À la destruction ou l’asservissement provoqués par la science, le troisième type de récits répond par un mode de vie pastoral ou une société préindustrielle, comme dans Les Guérillères (Monique Wittig, 1969) et The Wanderground (Sally Miller Gearhart, 1984). Bouchard les divise en deux sous-groupes. Le premier propose une société eutopique gynocentrique, tandis que dans le second, la société eutopique effective ou inchoative place les deux sexes à égalité – c’est le cas du Silence de la cité

Enfin, le quatrième type de récits humanise la technoscience : celle-ci respecte les êtres humains et la nature. C’est le cas de The Female Man (Joanna Russ, 1975), des Bergères de l’Apocalypse (Françoise d’Eaubonne, 1978) ou des Chroniques du Pays des Mères (Élisabeth Vonarburg, 1992). Les œuvres de ce groupe présentent des sociétés gynocentriques, gynocratiques ou androgynes. 

Certes, la science-fiction critique la science pour sa monopolisation de la rationalité, mais les utopies féministes s’élèvent contre l’utilisation dévoyée de la technoscience. Il est à souligner que de nombreuses utopies féministes vont au-delà de la dystopie technoscientifique associée au masculin pour proposer un nouvel équilibre : une société androgyne où la technoscience a changé et où « le mâle n’est pas le mal ».

Source : Beaulé, Sophie, L'ASFFQ 1995, Alire, p. 207-208.