Guy Bouchard

Parution : imagine… 73, Sainte-Foy, 1996, p. 43-80.

Guy Bouchard considère que la philosophie politique, dans la mesure où elle devrait avoir une conscience anticipante, a peut-être quelque chose à apprendre de la science-fiction. « Le sentiment d’étonnement, disait Platon, est la vraie marque du philosophe, il constitue l’origine de la philosophie. » Or n’est-ce pas ce que suscite, entre autres, la science-fiction ? Après avoir légitimé l’intérêt philosophique de la science-fiction en affirmant l’autonomie et la valeur propre de la littérature comme discours dont elle est partie prenante, l’essayiste se penche sur la figure de l’Autre qui met en cause nos idées préconçues à propos de la nature humaine.

À partir d’un corpus de 83 nouvelles de science-fiction réparties dans cinq anthologies thématiques (les Extraterrestres, les Robots, les Machines, les Mutants et les pouvoirs psi ou autres), Bouchard relève une série de cas qui nous obligent à réfléchir sur les critères qui définissent ce qui est humain par rapport à ce qui ne l’est pas. Doit-on récuser l’humanité à un Extraterrestre sous prétexte qu’il ne nous ressemble pas physiquement ? Un androïde doté d’une intelligence artificielle peut-il être considéré humain ?

Afin d’être en mesure de déterminer l’essence de l’humanité, le philosophe se livre à un exercice de « désanthropomorphisation » en élaborant un système de sèmes (critères) qui va donner lieu au final à 240 combinaisons possibles. Les sèmes retenus sont : l’apparence (identique, semblable ou différente de l’humain), laquelle peut être naturelle ou/et artificielle, présence ou absence d’intelligence, de sentiments et de pouvoirs spéciaux. À ces critères, il ajoute la capacité d’action qui se décline en spécialisation monovalente, en spécialisation polyvalente et en autonomie fonctionnelle afin de prendre en compte la description des Robots, Androïdes et Humanoïdes qu’il regroupe sous le terme « Biotechs ».

L’essayiste entame la discussion, après avoir fait jouer la combinatoire de ces sèmes, en abordant des notions comme la « géographie » (le lieu d’origine constitue-t-il un facteur essentiel de la définition de l’être humain ?), l’opposition entre art et nature, pour en arriver à la conclusion que le critère décisif dans notre conception de la nature humaine est l’intelligence libre. En utilisant ce seul critère discriminatoire, des 240 types d’êtres possibles selon son système combinatoire, il s’avère que 96 seraient donc humains, et 144 non humains. Bouchard est conscient qu’« en discutant quelques cas de nos relations avec l’Autre, nous avons proposé une dilatation de la notion de l’être humain débordant la conception d’un bipède biologique sans plumes et né sur la planète Terre ».

Au-delà de ces chiffres, il rappelle que « cet exercice d’anthropologie de l’imaginaire science-fictionnel » auquel il s’est livré parlait constamment de nous-mêmes et que « se connaître soi-même, c’est reconnaître autrui dans sa liberté ». Et de conclure : « […] quand nous aurons compris en quel sens l’Autre est aussi le Même, nous aurons commencé à devenir humains ». Mais la philosophie politique, qui considère encore la femme comme l’Autre de l’homme, n’est pas encore rendue là, ni nos sociétés qui tardent à accepter les différences culturelles et raciales.

Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1996, Alire, p. 223-224.