Jacques Lemieux

Parution : imagine… 31, Montréal, 1985, p. 24-33.

En tant que sociologue, Jacques Lemieux s’intéresse à la SF comme porteuse d’un discours idéologique qui se développe suivant les transformations que connaît le groupe social qui tient ce discours. Lemieux soumet en effet l’hypothèse que « la SF contemporaine constitue une forme d’expression imaginaire propre à une catégorie sociale bien spécifique, la fraction scientifique et technicienne de la petite-bourgeoisie », détentrice du savoir et du savoir-faire. C’est donc en analysant la pratique idéologique de la PBST (petite-bourgeoisie scientifique et technicienne) entre les années 50 et 80 que l’auteur dégage quatre grandes orientations de la SF américaine au cours de la même période.

Dans les années 50, la vision dominante est celle de l’utopie technicienne et positiviste. La PBST peut se considérer l’alliée de la technocratie, au nom d’une gestion rationnelle du système social. Même dans les œuvres pessimistes de cette époque, le rôle fonctionnel de la PBST est valorisé. Vers le milieu des années 60, la SF se fait fréquemment pessimiste et critique, ce qui donne lieu à des dystopies écologiques et sociales. Parallèlement, la PBST épouse la lutte des travailleurs contre le capitalisme ou la technocratie. Puis, un renouveau utopique se dessine au cours des années 70, dont l’œuvre d’Ursula Le Guin constitue l’exemple le plus probant. Cette “utopie ambiguë” que Lemieux appelle utopie de la communication interculturelle, traduit l’attitude de la PBST qui se pose alors en arbitre entre classes dirigeantes et travailleurs. Enfin, le sociologue de l’Université Laval croit déceler depuis la fin des années 70 une régression thématique qui a pour conséquence une remontée de la SF d’évasion (heroic fantasyspace opera). Ce recul serait attribuable au désarroi de la PBST devant les contradictions jugées insurmontables de la pratique sociale. Pour Lemieux, le discours sociologique et le discours de la SF sont étroitement mêlés parce que produits par le même groupe social.

Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1985, Le Passeur, p. 158-159.