Guy Bouchard

Parution : imagine… 44, Montréal, 1988, p. 63-87.

Convaincu que le féminisme comporte une dimension utopique parce qu’il présuppose la déconstruction de la société patriarcale et exprime le souhait d’une société meilleure, Guy Bouchard se propose de voir si les utopies ont rempli une fonction historiogène dans la propagation de cette hétéropolitique. Il définit au préalable la place de l’utopie par rapport à la science-fiction. Il identifie cinq positions théoriques possibles : 1) l’exclu­sion (l’utopie, contrairement à la SF, ne se préoccupe du futur que pour critiquer la société actuelle et en tirer des leçons morales, selon Asimov) ;  2) l’intersection (à condition que l’utopie propose des inventions, fonde­ment sur lequel repose la conception de la SF pour Bailey) ; 3) l’identification (la SF est la forme moderne de l’utopie, selon Jacques Sternberg) ; 4) l’inclusion ascendante (l’utopie est le sous-genre socio­politique de la SF, selon Darko Suvin) ; et 5) l’inclusion descendante (la SF est la fille cadette de l’utopie, aux yeux de Cioranescu). Bouchard se rallie à la conception de Suvin en précisant toutefois que « le thème sociopolitique n’est utopique que s’il est idéalisé positivement ou négativement » (société meilleure ou pire que la société de référence).  Il restreint la notion d’utopie aux seules incarnations fictives du thème sociopolitique, utilisant pour les autres textes (théoriques) les termes para-utopie et péri-utopie.

Dans la deuxième partie de son étude, le théoricien et philosophe de l’Université Laval s’applique à démontrer que les utopies féministes récen­tes ont contribué à une mutation du sous-genre et à une transformation de la SF traditionnelle. Une analyse de l’image du personnage féminin dans la SF et l’utopie masculines l’amène à conclure que la question du rapport entre les sexes a été traitée de façon régressive et conservatrice puisqu’elle s’est exprimée par trois attitudes majeures : 1) le maintien ou l’accentuation des rôles traditionnels ; 2) l’inversion des rôles traditionnels ; 3) l’égalité abstraite. Bouchard se demande si la SF et l’utopie féminines peuvent pro­poser un quatrième modèle, l’égalité concrète. La réponse est oui. Le groupe des 22 utopies féministes publiées entre 1960 et 1983 présente trois modèles de société sans subordination d’un sexe à l’autre : 1) la société sans hommes ; 2) la société androgyne ; et 3) la société bisexuée sans distinction entre les rôles dits masculins et féminins.

 Bouchard énumère enfin les causes qui ont rendu possible cette mutation, soit l’essence subversive et potentiellement révolutionnaire de la SF, le glissement du genre des sciences pures aux sciences humaines sous l’impulsion de la revue New Worlds, favorisant ainsi l’accession des femmes (auteures) au genre, et la renaissance du féminisme à la même époque dans presque tous les secteurs de la pensée humaine. Cette analyse est valable également pour l’utopie qui constitue le lieu littéraire par excel­lence de la redéfinition des rôles sexuaux. 

Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1988, Le Passeur, p. 190-191.