Anne-Marie Aubin

Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal, 1997, 109 pages.

Résumé
Que sont les fées devenues ? Voilà la question de départ de cette recherche. La fée, cet être imaginaire immortel, est douée de pouvoirs surnaturels et peut influencer la destinée des hommes. Mais quelle place occupe la fée parmi les personnages merveilleux de la littérature jeunesse contemporaine ? À la suite d'un inventaire rapide des personnages merveilleux à forme humaine dans la littérature jeunesse de 1967 à 1996, la sorcière a obtenu la première place avec plus d'une centaine de titres, suivie de loin par la fée avec une vingtaine de titres.  

Le personnage de la sorcière, très à la mode ces dernières années, a déjà fait l'objet de plusieurs études et publications, ce mémoire a donc été orienté vers le personnage de la fée. De plus, la rareté de ce personnage dans la littérature de jeunesse et les ouvrages théoriques a attiré notre curiosité.  

Un second inventaire plus approfondi a permis de découvrir 165 récits pour la jeunesse écrits ou traduits en français, publiés ces 30 dernières années sur le thème de la fée. Il faut savoir que plusieurs livres intitulés Contes de fées ne contiennent aucune fée, et qu'à l'inverse, des fées sont les héroïnes de plusieurs ouvrages sans que le mot fée n'apparaisse au titre. Aussi, la bibliographie de ce mémoire ne se prétend pas exhaustive, et malgré la centaine de titres retenus, quantité de fées restent à découvrir. À ce stade de notre lecture, déjà se profilaient deux types de fées : la bonne et la mauvaise.  

À cette étape est née l'idée de comparer la mauvaise fée avec le personnage de la sorcière, de noter l'influence de l'une sur l'autre tout au long de l'histoire, mais l'ampleur du corpus à étudier n'a pas permis d'inclure cet aspect dans ce mémoire.

Après une lecture attentive de tous ces contes de fées, un tri s'est effectué afin de constituer un corpus à étudier, au total 38 textes ont été retenus. Deux critères ont orienté ce choix : la survivance d'anciens modèles de fées et le non-conformisme dans la modernisation de la fée, tout en gardant à l'esprit l'idée d'établir une typologie de la représentation de ce personnage dans les albums.  

Au cours de cette recherche, la lecture d'une centaine de contes de fées publiés entre les XVIet  XXe siècles a enrichi notre réflexion et a permis de découvrir les sources de plusieurs contes. Devant la richesse des contes de fées des siècles passés, particulièrement du XVIIe siècle, une perspective historique a orienté la suite du travail. L'analyse de l'évolution de la fée depuis le Moyen Âge jusqu'à nos jours se divise donc en quatre chapitres.

Le chapitre 1 basé sur les récits des fées du Moyen Âge, Morgane et Mélusine, puis sur l'étude historico-littéraire de Laurence Harf-Lancner, permet d'établir deux modèles de récits : le morganien et le mélusinien. Puis, dans un deuxième temps, un examen des contes de fées de la littérature actuelle permet de vérifier les formes que prend la survivance des modèles fondateurs morganiens et mélusiniens tels que définis par Harf-Lancner. De quelle façon ces fées amantes, destinées à l'origine à la littérature adulte, s'approchent ou se distinguent-elles des fées actuellement présentes dans la littérature pour les enfants ?

Le chapitre 2 examine l'évolution de la fée, particulièrement chez les auteurs du XVIIe siècle. Dans quelle mesure la connaissance de Morgane et de Mélusine a-t-elle servi d'inspiration à Madame D'Aulnoy, Madame de Murat et Perrault ? Quels contes de fées ces auteurs ont-ils publiés et quels textes ont survécu jusqu'à aujourd’hui ? Comment les modèles morganiens et mélusiniens se retrouvent-ils sous le modèle de la fée classique, bonne ou méchante ? Ici, La Mode des contes de fées, étude générique de Marie-Elizabeth Storër, servira d'outil d'analyse sur l'évolution du conte. Dans le même sens, il est intéressant d'observer si ces fées créées par les auteurs du XVIIe siècle ont inspiré les auteurs d'aujourd'hui et de quelle façon ces modèles sont tantôt repris, tantôt parodiés.

Le chapitre 3 traite des contes de fées quasi absents au XVIIIsiècle mais de retour en force au XIXe siècle avec Andersen, Grimm et la comtesse de Ségur. L'analyse de la fée dans un choix de contes permettra de vérifier si les modèles morganiens, mélusiniens et ceux du XVIIe siècle survivent chez les auteurs de cette période. Le XIXsiècle consacre l'enfant-roi et crée une littérature juste pour lui. Sous cet angle, il s'agit de voir comment les fées de cette époque, créées par ces écrivains devenus classiques, marqueront l'évolution de ce personnage merveilleux et quel sera leur impact dans l'histoire de la littérature de jeunesse.

Finalement, le chapitre 4 se penche sur la modernisation du personnage de la fée à la fois au XXe siècle en général et plus particulièrement au cours de ces trente dernières années. L'évolution très rapide de la technologie, le progrès de notre siècle ne favorisent en rien la croyance aux fées. D'ailleurs, la question de la croyance aux fées suscite un nombre d'œuvres qui reflètent les inquiétudes d'une société sceptique mais qui a encore besoin de croire au moins au merveilleux si ce n'est au surnaturel.

Pendant plusieurs années, le roman fantastique et la science-fiction remplacent le conte. Pourtant, à partir des années 1970, réapparaissent dans la littérature jeunesse deux principaux types de fées : les fées gentilles issues de la lignée des fées-marraines et les fées de la modernité en rupture avec la tradition. Comment expliquer la résurgence de ce personnage en cette fin de siècle ? Jean de Palacio a observé le même phénomène de renaissance de la fée au tournant du siècle dans la littérature adulte cependant. Les différentes formes de modernisation observées par Palacio, la suite, l'extension et la contrefaçon, s'appliquent-elles aux contes de fées contemporains destinés à la jeunesse ?  

L'analyse de l'évolution de la fée dans le corpus étudié permettra de découvrir les préoccupations des auteurs de contes de fées, tout en levant le voile sur leurs sources d'inspiration, historiques et littéraires. Enfin, l'étude du genre littéraire qu'ils utilisent pour écrire sur la fée mènera vers une conclusion sur les formes du merveilleux dans le monde contemporain et dans la littérature de jeunesse.  

Table des matières
Résumé i
INTRODUCTION 1

CHAPITRE 1: LES FÉES DU MOYEN ÂGE :  SYMBOLE DU DESTIN ET DU DÉSIR 4
1.1 Morgane la fée amante 5
1.1.1 Le conte morganien 6
1.1.2 Les fées contemporaines du type morganien 7 
1.1.2.1 Moktar le berger (1984) 7

1.1.2.2 La Fée qui crachait du feu (1981) 10
1.1.2.3 Agathe et la fée Or Mône (1978) 12 
1.1.3 Bilan du modèle morganien 14

1.2 Mélusine la femme-serpent 14
1.2.1 Le conte mélusinien 15
1.2.2 Les fées contemporaines du type mélusinien 16
1.2.2.1 La Fée des eaux (1978) 16
1.2.2.2 Fritz et la fée Pagaille (1991) 17
1.2.2.3 La Fille-fée (1979) 18
1.2.3 Bilan du modèle mélusinien 20
1.3 Bilan comparatif de la modernisation des modèles morganien et mélusinien   20

CHAPITRE 2 : LES FÉES DU XVIIe SIECLE : CLASSIQUES DE LA LITTÉRATURE JEUNESSE 22
2.1  Disparition et renaissance des fées 22
2.1.1 La mode des contes de fées 23
2.1.2 Les fées passent au salon 26
2.1.3 Les fées de Perrault : du salon à la chambre d'enfant 30
2.1.4 Les fées-marraines : du berceau au mariage 33
2.1.5 Les héritières contemporaines des fées-marraines 34 
2.1.5.1 Angéline des neiges (1987) 35

2.1.5.2 Le Petit Prince paralysé (1990) 36
2.1.5.3 L'Anneau magique de Lavinia (1990) 37
2.2 La méchante fée 37
2.2.1 Les héritières contemporaines des méchantes fées 38
2.2.1.1 Tignasse (1988) 38
2.2.1.2 L'Arbre enchanté (1991) 39
2.3 Bilan des fées du XVIIe siècle 41
2.4 Bilan des adaptations contemporaines 42

CHAPITRE 3 : LES FÉES DES XVIIIe ET XIXe SIECLES 44
3.1 Le XVIIIe siècle : un autre merveilleux 44
3.1.1 Le Magasin des enfants (1757) 45
3.1.2 La naissance des premiers romans pour les jeunes 47
3.1.3 Le statut de l'enfant 49
3.2 Le XIXe siècle : l'âge d'or de la littérature de jeunesse 50
3.2.1 Les fées-marraines et les sages-femmes chez Grimm 52
3.2.2 Les bonnes fées d'Andersen 55
3.2.3 Nouveaux Contes de fées (1856)58
3.3 Bilan des fées des XVIIIe et XIXsiècles 60
3.4 Les héritières contemporaines 61
3.4.1 Un conte peut en cacher un autre (1982) 63
3.4.2 Contes à l'envers (1977) 63
3.5. Bilan des héritières contemporaines 65

CHAPITRE 4 : LES FÉES DU XXSIECLE : MODERNISATION ET PERVERSION 67
4.1 Les fées gentilles 68
4.1.1 Peter Pan (1911) 69
4.1.2 Croire aux fées 71
4.1.2.1. Un vrai conte de fées (1991) 71
4.1.2 2. Le Roi qui ne croyait pas aux contes de fées (1980) 73
4.1.2.3. Vingt secrets pour apercevoir les fées (1992) 74
4.1.3 Bilan des fées gentilles 75
4.2 Les fées de la modernité 75 
4.2.1 La modernisation par la suite 76
4.2.1.1 La Fée du robinet (1967) 77
4.2.2 La modernisation par l'extension 78
4.2.2.1 Prince Gringalet (1987) 79
4.2.3 La modernisation par la contrefaçon 80
4.2.3.1 La Fée des dents (1991) 80
4.2.3.2 Mais que font les fées avec toutes ces dents ? (1989) 81 
4.2.3.3 Mais où les fées prennent-elles tout cet argent ? (1996) 82

4.3 Subversion de la fée dans sa nature 82
4.3.1 La Fée au long nez (1985) 83
4.3.2 Albert et Caroline (1986) 84
4.3.3 Le Petit Théâtre de la lune (1983) 84
4.4 Subversion de la fée dans sa fonction 85
4.4.1 Omar le prince de la lune et des étoiles filantes (1993) 85
4.4.2 Quand les fées font la grève (1986) 86
4.4.3 Politiquement correct : Contes d'autrefois pour lecteurs d'aujourd'hui (1994) 87
4.5 Bilan des fées modernes du XXe siècle 88

CONCLUSION 91
Bibliographie 95