Michel Dagenais-Pérusse

Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal, 2008, 133 pages.

Résumé
D'enfant intrigué par des inscriptions en gallois, Tolkien évolue vers un apprentissage précoce du latin, du grec et de nombreuses langues anciennes. Sa passion pour les langues ne se dément pas : bientôt il travaille à l'élaboration de langues inventées basées sur le finnois, puis il fonde un club de lecture de sagas en norrois. Dans son étude des langues, il s'intéresse aux anciens textes qui recèlent leur évolution : très vite, pour lui, le langage et le mythe sont indissociables. Le langage génère du mythe et ce dernier survit à travers les langages. Du propre aveu de l'auteur, c'est pour donner vie à ses langues inventées qu'il créa leur monde : « […] il lui fallait une « histoire » pour lui servir de base. […] Il mettait ce langage au point, maintenant il lui fallait trouver les gens dont ce serait la langue. » (Carpenter, 2002).

En marge de ses recherches universitaires, il construit donc sa mythologie personnelle, un travail étalé sur toute une vie dont quelque vingt ans sur le seul Seigneur des anneaux pour lequel il s'attarde minutieusement sur chaque mot : « It was begun in 1936, and every part has been written many times. Hardly a word in its 600 000 or more has been unconsidered. » (Carpenter, 1981). En parcourant la biographie de ce linguiste-écrivain, qui peut se surprendre de voir le langage comme personnage principal de son œuvre Le Seigneur des anneaux ? Son récit se veut une reconstruction moderne basée sur les légendes anciennes qu'il affectionne et il y inclut à cet effet nombre des éléments langagiers, relevant souvent de la pensée mythique, qui donnent à ces récits anciens leur saveur particulière.

Parmi ces éléments, nous avons relevé le traitement accordé à la nomination et celui accordé aux manifestations de la parole poétique que sont ces chants et poèmes que l'on retrouve égrenés dans la narration en prose. En premier lieu, nous exposerons l'intérêt de l'auteur pour le langage et les littératures médiévales (principalement germanique et finnoise), notamment pour leurs techniques langagières particulières. Nous nous appuierons en cela sur ses essais consacrés aux sources et à la genèse du texte (Tolkien, 1981, 1997). Puis, nous mettrons en relief ce qui, de la pensée mythique, éclaire la perspective et l'utilisation par Tolkien du nom et de la parole poétique avec l'appui de l'essai de Mircea Eliade : Aspects du mythe. Ensuite, il nous faudra étudier la littérature médiévale germanique avec l'aide des ouvrages de Régis Boyer y ayant trait. Nous pourrons ensuite nous pencher sur la question du traitement de la nomination dans l'œuvre de Tolkien : quels sont sa nature, son sens et ses fonctions pour le récit et qu'est-ce qui la rattache à la pensée mythique ? Enfin, nous nous intéresserons aux nombreux chants et poèmes propres à l'œuvre. Nous verrons comment ils définissent des cultures, relatent un passé et des mythes ; bref, comment ils ajoutent à la cohérence et à la profondeur de l'univers fictif dépeint.

Ainsi, et plus que de simples artifices stylistiques, ces manifestations langagières singulières qui imprègnent Le Seigneur des anneaux participent de la structure même du récit et sont étroitement liées à la pensée mythique : le langage, le mot, a un véritable pouvoir chez Tolkien. Voilà ce que ce travail tendra à démontrer.

Table des matières
Résumé v
INTRODUCTION 1

CHAPITRE 1 : TOLKIEN : LANGAGE, MYTHE, NOM ; DU FANTASY AUX LITTÉRATURES MÉDIÉVALES GERMANIQUES 10
1.1 J.R.R. Tolkien et son œuvre : les langues inventées et leur mythologie 10
1.1.1 Les sources à l'origine du monde de la Terre du Milieu 12
1.2 Mircea Eliade et Aspects du mythe 26
1.3 La littérature et la culture des anciens Scandinaves : l'individu est une part du sacré, langage sacré, magie verbale et nomination 38

CHAPITRE 2 : VARIATIONS SUR LES NOMS, DU MYTHE À L'ŒUVRE 49
2.1 Nomination : anciennes cultures, anciens mythes 49
2.2 Le rapport au nom chez les anciens Germains 51
2.3 La nomination dans l'œuvre 58
2.4 Strider, Aragorn, Elessar : trouver et assumer son identité, être le porte-parole de l'espèce humaine : le
hérault/héros 64
2.5 Sméagol/Gollum : la perte de l'identité par la nomination 74
2.6 L'absence de nom : Gandalf ou l'identité incertaine 80

CHAPITRE 3 : LA PAROLE POÉTIQUE, LES CHANTS ET L'ENCHANTEMENT : DU NOM À LA FORMULE, DU MOT AU DISCOURS ET LE RÔLE DE LA PAROLE 84
3.1 La récitation du mythe : Eliade 85
3.2 La parole poétique chez les anciens Scandinaves : parole magique, malédiction et histoire 87
3.3 Chants sur la Terre du Milieu : la parole mythique, la parole comme identité, la parole magique 92
3.3.1 La formule poétique, les mythes et l'histoire : il faut chanter pour savoir et se souvenir 92
3.3.2 La formule poétique et l'identité 99
3.3.3 Les chants et l'enchantement : la parole magique 114

CONCLUSION 127 
Bibliographie sélective 130