David Boucher

Thèse de doctorat, Université de Montréal, 2017, 317 pages.

Résumé
Le présent travail propose une immersion dans le nouveau roman d’anticipation francophone, plus précisément, il s’efforce d’analyser les représentations dystopiques de la société dans certaines œuvres choisies de Nelly Arcan, Michel Houellebecq et Antoine Volodine. Cette mise en lumière s’inscrit sur le terrain de la sociocritique des textes et repose sur quatre grands axes : la poétique du lieu et du personnage, la narration, l’intertextualité et l’interdiscursivité. Au cœur de ces articulations se trouve la notion clé de totalitarisme d’Hannah Arendt, que de nouveaux théoriciens ont pensé autrement et que nos trois auteurs se réapproprient de près comme de loin : la représentation de la masse chez Houellebecq, la disparition de la sphère privée chez Arcan, les violences totalitaires des interrogatoires qui convergent vers l’horreur concentrationnaire chez Volodine, la figure du Fürher réinventée trois fois plutôt qu’une chez les trois, pour ne donner que ces exemples, correspondent de façon surprenante et inquiétante à la définition d’Arendt, au prix toutefois d’une inversion parfois symétrique de ses éléments emblématiques (pour reprendre les idées de Todorov et de Wolin sur le sujet). Fortement influencés par les grands titres de la dystopie anglo-saxonne, leurs romans font plus que penser le cauchemar politique de demain, ils réinventent la mécanique anticipative, qui a longtemps consisté à simplement grossir dans l’avenir des éléments du présent. Les futurs qu’ils décrivent, souvent furtivement, diagnostiquent certes une crise de l’Histoire présente, mais révèlent tout autant les utopies brisées d’autrefois et le poids des révolutionnaires années 1960-1970 sur le monde d’aujourd’hui.

Qu’il s’agisse de la Révolution tranquille chez Arcan, de Mai 68 chez Houellebecq ou des tentatives de changement de régime dans la Russie de 1917 comme dans l’Europe des années 1970 chez Volodine, chaque fiction explore directement ou symboliquement l’expérience de l’échec en montrant que, sur certains points, l’utopie a tourné à vide – qu’elle se nomme modernité ou laïcité, progressisme ou libéralisme, communisme ou socialisme – et que la fin des grands récits théorisée par Lyotard a laissé place à tous les petits récits qui font notre présentisme individualiste : misère sexuelle et religieuse, règne du spectacle et de l’argent, récupération et trahison des discours idéalistes d’autrefois, etc. Bien plus, ce nouveau roman d’anticipation dévoile les tendances néototalitaires de la planète capitaliste et néolibérale qui se lève à l’horizon du futur, et ce, par l’inventivité singulière de leur verbe, sans tomber dans le piège de la pâle imitation stylistique (d’où l’idée d’un nouveau roman, qui n’est évidemment pas un nouveau Nouveau roman). Alors que les Robbe-Grillet d’autrefois déconstruisaient les formes romanesques traditionnelles jusqu’à l’illisibilité, les Arcan, Houellebecq et Volodine d’aujourd’hui font de même avec la temporalité anticipative qu’ils réinventent pour mieux lire leur société.

Table des matières
Résumé ii
Abstract iv
Table des matières vi
Dédicace vii
Remerciements viii
INTRODUCTION 11

CHAPITRE 1: NELLY ARCAN ET LA DÉVOLUTION TRANQUILLE 35
1. Narrer son Histoire 35
2. Le lieu comme prison à ciel ouvert 54
3. Interdiscours sur l’origine et les fondements de l’inégalité 70
4. Les clés de l’intertextualité 80
5. Le procès de l’héroïsme 91

CHAPITRE 2: LA COMÉDIE POSTHUMAINE DE MICHEL HOUELLEBECQ 97
1. Le diktat de la narration et ses interdiscours fascisants 97
2. La psychologie des masses et des personnages 132
3. La poétique du lieu ou la carte des territoires 149
4. Dialogue intertextuel : Spengler contre Comte 165

CHAPITRE 3: LES DÉSILLUSIONS D'ANTOINE VOLODINE À L'ÈRE POST-TOTALITAIRE 180
1. Politique du personnage : du dictateur à l’Untermensch 180
2. Mensonges et prisons de la narration 214
3. Les leçons de l’intertextualité numéro 101 et 451 228
4. Les lieux concentrationnaires 252
5. La dialectique des interdiscours 267

CONCLUSION 286
Bibliographie 303