À propos de cette édition

Éditeur
L'Hexagone
Titre et numéro de la collection
Fictions
Genre
Science-fiction
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
251
Lieu
Montréal
Année de parution
1986
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Il existe sur la planète Coquecigrue trois mondes complètement isolés les uns des autres et qui ont pour noms Aaa, Aâh et Ha. En Aaa, le continent le plus vaste de Coquecigrue, vit un peuple dont les habitants ont comme caractéristique première d’être tous des spécimens uniques tant est infinie leur diversité. En revanche, la nature est uniforme et ne compte qu’une espèce de poisson, d’oiseau, d’insecte, de mammifère, de batracien, d’arbre et de fleur. Les gens de Aaa vivent dans des grottes, au bord de la rivière Nitchénicouane, et leur existence se déroule paisiblement.

Leur société comporte un minimum de règles sociales qui n’ont rien de contraignant. L’oisiveté et les jeux de l’amour constituent les principales activités de ce peuple hétéromorphe qui compte dans ses rangs un sage à sa façon, un digne émule du philosophe Socrate, le vieil Anatolanskov. Celui-ci, du haut de sa montagne, observe ses contemporains et guette la très hypothétique arrivée d’étrangers qui pourraient venir par le ciel ou par la mer. Un disciple, Bessaguérini, vient bientôt le rejoindre et tous deux, dans leur immobilité, finissent par prendre racine alors qu’ils assistent, en spectateurs impuissants, à l’extinction de leur race à la suite d’une épidémie foudroyante.

En Aâh règne le roi Celsius 1er sur tous ses sujets, pauvres et misérables. Le royaume est petit et ne suffit pas à nourrir le peuple. Celsius 1er n’en a cure, lui qui mange à sa faim. La reine Magina, la seule femme autorisée à se promener les seins nus, sa poitrine royale ayant valeur de symbole, gracie un jour un prisonnier pour qui elle éprouve une attirance irrésistible. Afin d’éloigner son époux, elle le convainc de faire construire un grand navire dont il prendrait le commandement afin de partir à la découverte d’une terre plus accueillante et hospitalière.

Ayant refusé de s’embarquer au moment du départ de la première expédition, le roi doit cependant respecter sa promesse quand une nouvelle expédition rapporte l’existence d’une race étrangère sur un autre continent. Son mari étant écarté, la reine se met à la recherche de Fatimus et apprend qu’il s’est engagé comme voyeur sur le navire de Celsius 1er. La reine affrète alors un navire et se lance aux trousses de la flotte du roi. Elle rejoint finalement son amant et s’enfuit avec lui sur le continent maintenant inhabité de Aaa où elle peut donner libre cours à sa passion amoureuse.

Enfin, le monde de Ha est une société moderne qui, par crainte d’être attaquée par des étrangers qui n’existent peut-être même pas, s’est dotée d’un système de défense très sophistiqué. Pour assurer l’infaillibilité de ce système, le gouvernement a dû proclamer l’extermination de tous les oiseaux car ils risquaient de confondre les radars haois. Une petite fille, Catherine, s’entête à vouloir faire voler son coq Oscar et sa poule Félicia. Elle y réussit finalement et déclenche par le fait même le système de défense du pays. Au même moment, le voilier de Celsius 1er se pointe à l’horizon. Une faille dans le micro-processeur d’une ogive entraîne la destruction de Ha.

Commentaires

S’il n’existe pas dans la littérature québécoise une tradition d’humour, il reste qu’il y a des écrivains qui sont d’abord et avant tout des humoristes. Je pense à Jean-Marie Poupart, à François Hébert, à Jean-Yves Dupuis, à François Gravel et, surtout, à François Barcelo. Les quatre romans qu’il a publiés sont marqués par cette constante : ils veulent faire rire le lecteur en misant sur une imagination débridée, sur un comique de situations et sur l’invention verbale. Aussi, chaque fois que paraît un roman de François Barcelo, on se demande s’il s’agit d’un roman de SF car le décor n’est jamais une reproduction réaliste de la vie quotidienne. L’auteur introduit de petits éléments fantastiques sans conséquence véritable sur l’économie du récit dans La Tribu et Ville-Dieu ou des signes importants porteurs d’altérité dans Agénor, Agénor, Agénor et Agénor (en l’occurrence, un extraterrestre de Blanante).

Dans Aaa, Aâh, Ha ou les amours malaisées, Barcelo nous force à considérer ce roman (ou ces romans comme il est écrit sur la couverture) comme une œuvre de SF pour deux raisons. D’abord, la création de la planète Coquecigrue, hautement farfelue et fantaisiste, ne contribue pas moins à inscrire ce texte dans une perspective de faiseurs d’univers. Mais c’est surtout la description des habitants du monde d’Aaa qui pousse ce texte vers la SF.

Le peuple d’Aaa présente des caractéristiques qui n’ont rien en commun avec les humains de notre espèce. Ils incarnent véritablement l’altérité car ils sont hétéromorphes. Voyons ce qu’en dit le romancier : « À part l'œil et l'absence de bouche, ils ne se connaissaient aucun dénominateur commun. Il y en avait des grands et des petits, des à plume, dès à fourrure, des à peau rugueuse et des à peau douce. Des rampants, des marchants, des roulants » (p. 75). La couleur, le nombre de bras, de jambes et de têtes, la forme du corps et la disposition de leurs deux sexes font que chaque individu est unique.

La diversité des gens d’Aaa semble répondre à la vision pessimiste de l’avenir projetée par Le Meilleur des mondes de Huxley, par exemple, où le clonage peut faire en sorte qu’il y ait 64 individus absolument identiques. C’est que Huxley décrit une dystopie tandis que Barcelo, dans le récit d’Aaa, présente une utopie. « Les gens d'Aaa se trouvaient beaux les uns les autres, tous et chacun d'entre eux. Et ce qu'ils trouvaient beau, c'était justement ce qui distinguait les autres d'eux-mêmes. Cela constitue un bien beau mystère » (p. 75).

Mais en même temps, on ne peut pas ignorer les intentions de l’auteur qui ne prétend aucunement faire de la science-fiction : « On les prendrait (les chapitres Aaa) pour de la science-fiction s'ils n'étaient pas entièrement dépourvus de science » (p. 14) explique-t-il dans les pages préliminaires. Je ne crois pas que l’absence de science dans ce récit suffise à l’exclure de la SF. Qu’y a-t-il de scientifique dans Coquillage d’Esther Rochon ? Certainement pas la description du monstre-nautile et pourtant, personne ne conteste qu’il s’agit là d’une œuvre de SF.

On sent d’ailleurs dans le roman de Barcelo que celui-ci a réfléchi sur la nature de la science-fiction à la suite de la tentative d’appropriation dont son premier roman a fait l’objet dans le milieu de la SFQ. Bessaguérini invente des récits pour distraire son vieux maître Anatolanskov. L’un d’eux est un récit qui, aux yeux du lecteur d’aujourd’hui, est tout à fait réaliste mais qui, pour Anatolanskov, est tout à fait irréaliste et incompréhensible parce qu’il appartient à une autre culture. Le vieux demande de quoi il s’agit. Bessaguérini répond : « De la science-fiction. C'est une nouvelle forme de récit qui se passe en un lieu de mon invention, et là tout est différent d'ici. Par exemple, il y a des endroits où on prêtre de l'argent. Ce sont des banques » (p. 179).

Boutade ou non, Barcelo met à profit cette définition et il invente des mots (miser, grenoux) pour désigner des réalités (ici des animaux) qui n’existent pas dans notre monde. Mais l’auteur invite aussi ses lecteurs à utiliser leur imagination en se gardant « …d'interpréter ces noms comme une représentation exacte de ce qu'il désigne normalement » (p. 11). On le voit, l’attitude de Barcelo face à la SF semble plutôt ambivalente. Tantôt il rejette l’étiquette, tantôt il s’en réclame presque. Cette indécision n’est peut-être au fond qu’une plaisanterie dont nous sommes, à des degrés divers, les victimes inconscientes. Et puis, après tout, le romancier a le droit de s’amuser lui aussi, qui nous en donne pour notre argent dans son dernier roman.

Il met en scène trois mondes différents, trois systèmes politiques qui aboutissent au même résultat : l’extinction totale et définitive qui répond plus à la souveraine liberté du romancier qu’à une quelconque ligne idéologique. Le monde d’Ha est une reproduction à peu près sans retouches de notre société militarisée et démocratique. La justification du système de défense totale prôné par le président Lebrun rejoint les arguments avancés par les tenants de l’équilibre de la terreur : « Si ces ennemis n’existent pas, nous ne pouvons faire de mal à personne. S’ils existent, personne ne pourra nous faire mal » (p. 47).

Le monde d’Aâh met en scène un régime monarchique qui repose sur la tyrannie et l’arbitraire. L’auteur nous introduit dans l’univers du conte satirique dont on peut apprécier le mordant en lisant les Lois pour la conservation des aliments édictées par Celcius 1er. Le récit épouse la forme de petits tableaux qui décrivent la manière hautement capricieuse dont le roi mène les affaires de l’État. Si le monde d’Ha sombre dans la paranoïa, le monde d’Aâh, par l’intermédiaire de son roi, est surtout animé par des instincts belliqueux et des visées impérialistes.

Le monde d’Aaa se situe entre ces deux pôles extrêmes en adoptant une attitude attentiste et ouverte. Rien d’étonnant puisqu’il s’agit d’une société utopique. Son harmonie et sa perfection ne lui assurent pourtant pas le bonheur éternel.

L’idée de mettre en opposition ces trois mondes procure au roman une richesse indéniable. Encore une fois, François Barcelo va à l’encontre des lois romanesques sans que son récit en souffre. En effet, il n’y a pas de véritable progression dramatique, il n’y a pas de personnage principal qui lierait les uns aux autres ces trois récits parallèles. Cette structure narrative force l’auteur à interrompre pendant un long moment l’un ou l’autre récit. S’il ne parvient pas à faire converger parfaitement ces trois récits, du moins réussit-il à mettre un point final en situant la planète Coquecigrue sur le plan d’un micro-univers dont le romancier est l’unique maître.

Aaa, Aâh, Ha ou les amours malaisées est un roman humoristique dont l’intérêt est soutenu de bout en bout, exception faite de la mise en place du récit (p. 15 à 22) qui est assez pénible et laborieuse. C’est peut-être le roman le plus réussi à ce jour de François Barcelo. Chose certaine, il nous fait rire ou sourire continuellement car son sujet paraît inépuisable : la bêtise humaine présente dans tout système politique. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1986, Le Passeur, p. 24-27.

Références

  • Beaulé, Sophie, Solaris 99, p. 50.
  • Cloutier, Georges Henri, Solaris 73, p. 50.
  • Gadbois, Vital, Dictionnaire des œuves littéraires du Québec VIII, p. 1-3.
  • Mativat, Daniel, imagine… 41, p. 113-115.