À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Antoine Clouthier est un militaire et espion canadien ; accompagné par son collègue René Lefebvre, ils s’introduisent clandestinement dans le laboratoire du savant Léo Levane. Ce dernier refuse en effet de partager ses secrets avec le gouvernement. Les deux espions sont un peu inquiets car d’autres les ont précédés ; tous ont été soumis à un lavage de cerveau avant d’être relâchés.
Le plan des espions échoue : Levane savait qu’ils se cachaient dans des caisses et ils n’en sortent que pour se retrouver prisonniers dans des cellules dont les murs sont des champs de force. Après un séjour interminable, les deux hommes profitent de ce qui semble être une panne momentanée pour s’échapper. Hélas, le champ de force reprend du service au pire moment, et ils sont brûlés à mort.
À leur immense surprise, si leur corps est décédé, leur esprit survit sous la forme de petites langues de feu invisibles aux yeux normaux. Ils sont témoins des efforts de Levane, aidé de ses robots, pour ressusciter leur cadavre. Ils se sentent attirés par leur enveloppe charnelle reconstituée, mais alors s’interposent une foule d’entités ectoplasmiques d’origine inconnue. Menacés par ces créatures, Clouthier et Lefebvre trouvent refuge dans un appareil du laboratoire de Levane. Ils parviendront à affecter une balance – car leur âme pèse trois onces chacune – et à communiquer ainsi avec Levane, en code Morse.
La situation se complique le matin venu : Clouthier et Lefebvre se volatilisent du labo et se réveillent dans le corps de personnes fraîchement décédées. Arrivant à reprendre le contrôle des chairs défuntes par la force de sa volonté, Clouthier sort donc de la morgue dans un corps d’emprunt, qu’il quittera au coucher du soleil.
Ils feront tous deux la navette de cette façon pendant trois jours. Ce temps suffira à Levane pour élaborer des outils capables de voir les spectres et de lire dans l’esprit des intrus ectoplasmiques : il s’avère que ce sont les esprits de pirates de l’espace qui veulent s’emparer des corps de Clouthier et Lefebvre afin de dominer la Terre. La dernière nuit voit les fantômes attaquer Levane et ses robots ; les armes nouveau genre dont il a doté sa plus récente génération d’androïdes parviendront in extremis à battre les ennemis. Clouthier et Lefebvre, mis à mal lors du combat, réintègrent leur corps, mais découvrent à leur réveil qu’il s’est passé des décennies avant que Levane ne puisse effectuer leur pleine résurrection.
Commentaires
La science-fiction, lorsqu’elle est maniée par une certaine sous-espèce d’écrivains, ne peut être comprise que comme l’expression d’un parfait arbitraire créateur. Il se passe telle chose, tel personnage agit de telle façon, parce que moi, son auteur, j’en décide ainsi, et que mes caprices priment sur toute logique interne. Et ce ne sont pas uniquement des écrivains de troisième zone qui souffrent de ce problème. Il y a des auteurs connus de SFFQ (je pense en particulier à feu Jean-François Somain) qui ont commis de ces textes de n’importe quoi mais qui, eux, avaient assez de talent pour sauver la mise.
Ce qui pourrait justement racheter un tel galimatias de deux cents pages, ce serait la démesure de l’imagination, le choc cognitif qui naît de la confrontation avec des idées sauvages, dangereuses. Vain espoir ici. Les spectres hostiles qui auraient pu constituer un élément valable se révèlent être l’équipage d’un vaisseau spatial pirate extraterrestre ; ils auraient aussi bien pu être des pirates humain du XVIIe siècle, pour tout ce qu’on apprend de leur étrangeté fondamentale. Les éléments technologiques sont balancés n’importe comment, les propriétés des âmes préservées ne seront jamais compréhensibles. Pourquoi diable Clouthier et Lefebvre sont-ils « aspirés » dans des corps fraîchement défunts en fonction du lever du soleil, sans égard à d’autres paramètres ? Mystère.
C’est surtout dans ces séjours en corps étrangers que se voit la faiblesse du roman. Ils occupent environ la moitié de la narration, et constituent potentiellement un élément crucial de l’intrigue, puisque Clouthier et Lefebvre, pendant qu’ils sont incarnés, seraient à même de communiquer avec l’armée canadienne pour les informer de la situation. Clouthier y parvient en effet, sauf qu’on ne le croit évidemment pas… Les péripéties inhérentes à la réincarnation dans un corps fraîchement décédé sont assez convenues et n’ont pas de réelle incidence diégétique. Pour un agent secret, Clouthier me paraît singulièrement désinvolte et incompétent dans ses efforts de communication.
Et à sa troisième résurrection, on sombre dans le grotesque, quand Clouthier se réincarne dans le corps d’une femme morte en couches. D’abord inquiet à la perspective de devoir se vêtir, parler et agir comme une femme, Clouthier parvient bien vite à hypnotiser son gynécologue, s’enfuit de l’hôpital, s’offre un relookage puis se rend aux bureaux de l’armée, où tous les militaires salivent sur son apparence – de parturiente à top modèle, il n’y a apparemment qu’un pas. Incapable de dialoguer rationnellement avec les officiers qui ne veulent bien sûr que cruiser la pitoune, Clouthier change d’approche. Il accepte les avances de son collègue le major Grant, l’accompagne chez lui, et couche allègrement avec lui. Sa pruderie face à l’idée de vivre dans un corps de femme était entre-temps devenue un ardent désir d’expérimenter un orgasme vaginal – faut-il rappeler que ce vagin est celui d’une morte et qu’il a expulsé un bébé quelques heures auparavant ?
Je renonce à détailler la suite de cette soirée, où apparaît le gynécologue encore hypnotisé et donc capable de régénérer ses chairs tailladées par simple pouvoir de concentration. On ne sait plus si l’auteur croyait sincèrement que ces merveilles de l’hypnose relevaient de la science avérée, ou s’il empilait les spéculations par crainte d’ennuyer le lecteur. Le livre se termine par une réconciliation et s’ouvre à la possibilité de nouvelles aventures palpitantes : deux autres titres de la série des Trois-Cimes sont annoncés. Hélas, comme Neil Bryand bien plus tard, Marc Roberge n’aura jamais pu donner suite à son roman. Ah, les affres de la publication ! [YM]
- Source : Les Années d'éclosion (1970-1978), Alire, p. 334-336.
Références
- Spehner, Norbert, Requiem 9, p. 18.