À propos de cette édition

Éditeur
Alire
Titre et numéro de la collection
Romans - 28
Genre
Fantastique
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
370
Lieu
Beauport
Année de parution
1999
ISBN
9782922145243
Support
Papier+
Illustration

Résumé/Sommaire

Un détective, Michel Ferron, est embauché pour mettre au jour un réseau de trafic de drogues dans un hôpital psychiatrique. Il est entraîné dans le maelström onirique de Kevin, un jeune autiste dont l’influence s’exerce sur tous ceux qui, par hasard ou nécessité, s’en approchent assez pour faire partie de son entourage immédiat. Il faut dire que le privé, lui, s’en approche pas mal. La haute direction de l’établissement l’a en effet mandaté, à l’insu du personnel, pour mener son enquête dans la peau d’un patient. Et comme un seul psychiatre est au courant du subterfuge, le détective sera exposé aux aléas de la vie en institution.

Par ailleurs, dans le centre hospitalier Saint-Pacôme sévit un infirmier colérique et brutal, qui fait d’abord subir ses humeurs de bum à sa petite amie, une collègue infirmière. Plus tard, il brutalisera des patients et abusera d’une patiente. Sans parler de sa manière personnelle d’interpréter les médications.

L’enquête du détective arrête bientôt de progresser : pas facile de simuler la dépression nerveuse tout en jouant les Sherlock Holmes. Et puis, le comportement de l’ensemble des protagonistes est de plus en plus perturbé par l’irruption du rêve dans la réalité. Dans ce tourbillon d’événements hors de l’ordinaire, Michel Ferron va-t-il honorer son contrat et démasquer le trafiquant ? Et malgré l’absence inopportune du psy qui connaît sa véritable identité, réussira-t-il à conclure son enquête ?

Commentaires

D’entrée de jeu, avant même que le détective et l’infirmier n’entrent en scène, c’est le Rêveur, dont on connaîtra l’identité plus tard, qui lance l’action. Le prologue nous plonge en effet dans le monde qu’il imagine, qu’il organise et anime. On y assiste à sa venue au monde et à ses aventures dans un décor de carton-pâte où s’affrontent des entités allégoriques : les Amis de la forêt contre l’Alliance nazie et ses alliées barbies. Les Amis de la forêt sont une transposition de la communauté des patients, l’Alliance nazie – exclusivement mâle – représente les infirmiers tandis que les barbies jouent leur contrepartie féminine.

Champetier élabore ainsi un roman où deux niveaux de réalité se superposent et s’interpénètrent : celui de l’institution psychiatrique et celui du Rêveur. Au début, les deux plans de réalité évoluent en parallèle. Petit à petit, des épisodes et des personnages « rêvés » infiltrent les nuits des protagonistes. De la même manière, les épisodes du monde rêvé récupèrent les événements qui se déroulent à l’hôpital. Puis les transferts d’un monde à l’autre se produisent en plein jour. Jusqu’à ce que s’opère la fusion des deux univers et que le Rêveur ne fasse une irruption surprise dans la même réalité que les autres.

L’Aile du papillon soulève donc la question de ce qui se produira quand le rêveur de réalité s’éveillera. Ce rêveur-ci se présente avec la tête meublée de décors et d’accessoires mi-kitsch mi-techno, avec des plongées dans le temps et des créatures étranges. Par contre, pour bien amorcer le contrepoint qu’il jouera jusqu’à la fin, Champetier oppose au prologue un premier chapitre dans le décor réaliste et contemporain du centre hospitalier.

Il peuple son hôpital de la faune typique de ce lieu, il en recrée le climat particulier. Il organise ensuite le lent arrimage des deux mondes qui se dupliquent, qui évoluent en parallèle, se réfléchissent en produisant une image distordue de l’autre. On se déplace dans ce décor baroque, une vraie salle des miroirs, où on finit par perdre de vue la place originale de chaque chose, le rêve se mélangeant à la réalité dans un milieu d’une déroutante irréalité, celui de l’institution. Par jeu, l’auteur lance des ponts entre les deux univers en exploitant un système de clés grâce auxquelles on peut décoder le sens de certains événements, découvrir des indices, profiter d’une autre perspective sur les personnages et les choses.

L’écriture de Champetier conserve une grande efficacité tout au long de la mise en place des deux mondes. L’auteur fait appel à sa grande force d’évocation pour distiller des climats angoissants tout en subtilité, sans recourir à l’artillerie lourde à la Stephen King. Par exemple, il trempe le lecteur dans l’ambiance glauque de l’hôpital, il lui fait sentir le rythme morne et la grisaille de la vie des internés.

On croirait les connaître tellement les personnages de L’Aile du papillon agissent et pensent avec naturel. Ils rappellent des gens, des voisins, des collègues, des amis ou des parents. Ils évoquent des comportements, des mentalités et des réactions qu’on a déjà rencontrés quelque part. En plus, ils évoluent dans un monde où tout n’est pas tout à fait noir ni tout à fait blanc. Moins manichéen que bien d’autres, Champetier dépeint des personnages enfermés dans leur rôle social, dans leur éducation, dans leur histoire. Il ne les met pas au service d’une idée, d’un principe ou d’une foi.

Autre réussite, l’auteur exploite et pousse l’utilisation du joual un cran plus loin : quand on est dans la tête de l’infirmier délinquant, Champetier le fait réfléchir en langage parlé, mais de manière si naturelle qu’on ne saisit pas d’emblée le petit manège. Bientôt pourtant, le résultat est là. La technique rend avec beaucoup de justesse la vision particulière de chaque personnage, sa manière de penser, elle le caractérise très précisément.

En refermant le bouquin, je suis cependant resté avec une réserve. Quelque part en chemin, je me suis senti comme laissé en suspens : tout du long, j’ai poursuivi un objet, un dénouement consistant, sans y parvenir de manière satisfaisante. Et vers la fin, j’ai eu l’impression d’avoir échappé quelque chose. Comme si une couleuvre m’avait filé entre les doigts. Toute l’artillerie déployée pour installer des décors aussi prenants, pour camper des personnages aussi crédibles, pour bâtir une intrigue aussi serrée, pour rendre limpide un récit aussi complexe, tout ça presque en vain… À partir du moment où l’enquête du détective s’enlise vraiment, toute la belle construction semble se fissurer puis s’effriter. L’épisode de l’éveil du Rêveur ne parvient pas à relancer l’intérêt.

Il faut dire que l’auteur a créé des attentes élevées : depuis l’entrée en matière jusqu’au déploiement du récit, on pressent un dénouement qui emporte, qui bouleverse, qui éblouit avec un feu d’artifice final, un peu comme dans Tom O’Bedlam de Robert Silverberg, roman avec lequel L’Aile du papillon a une lointaine parenté. Mais il n’en est rien. La conclusion ramène le récit à un registre réaliste, prosaïque même, toute la dimension d’un univers autre ou étrange ayant été évacuée à la fin. Il reste que j’ai pris du plaisir à lire ce roman et à savourer l’écriture bien rythmée de l’auteur, à me laisser guider de l’autoroute métropolitaine jusque dans les couloirs de l’hôpital, à hanter tous les lieux, à vivre toutes les péripéties avec les protagonistes. Et, on l’a dit plus haut, à jouer à scruter les choses et les gens de plusieurs points de vue, jeu que Joël Champetier affectionne spécialement et qu’il pratique avec un art consommé. [RG]

  • Source : L'ASFFQ 1999, Alire, p. 44-46.

Références

  • Bourguignon, Éric, Solaris 132, p. 46.
  • Galarneau, Steeve, Le libraire, vol. 6, n˚ 1, p. 38.
  • Lepage, Bernard, L'Hebdo Mékinac/Des Chenaux, 11-12-1999, p. 1.
  • Parenteau, Karine, Le Sorteux, décembre 1999, p. 12.
  • Vonarburg, Élisabeth, La Presse, 20-02-2000, p. B6.