À propos de cette édition

Éditeur
L'Opinion publique
Genre
Fantastique
Longueur
Feuilleton
Paru dans
L'Opinion publique, vol. III, n˚ 14
Pagination
166
Lieu
Montréal
Support
Papier
Date de parution
04 avril 1872

Résumé/Sommaire

Deux solides gaillards, Louis et Jacques, se rendent en chaloupe sur l’Île-aux-Œufs afin d’y découvrir le légendaire trésor enfoui par l’équipage de l’amiral Walker en 1711. Sur place, maître Jacques raconte à son complice l’histoire de cet amiral anglais qui avait pris le commandement d’une flotte de navires pour assiéger et conquérir la ville de Québec. Mais une partie de la flotte avait fait naufrage sur les récifs de l’Île-aux-Œufs, notamment le vaisseau qui transportait sa fiancée, arrachée des mains de sa mère, la reine Anne d’Angleterre. En revenant au pays, humilié par sa déconfiture, l’amiral s’était sabordé. Depuis, par temps brumeux, dans les parages de l’Île-aux-Œufs, les pêcheurs peuvent voir un vaisseau fantôme sur lequel se tient un officier anglais, sa fiancée au bras.

Cependant, l’expédition des deux aventuriers demeure infructueuse, car il leur manque un accessoire indispensable : la main-de-gloire. Peu de temps après, maître Jacques parvient à s’en procurer une grâce à la bienveillance de l’auteur. Deux ans plus tard, ce dernier apprend dans le journal que la goélette du capitaine Jacques Gabriel est à vendre, son propriétaire ayant vraisemblablement payé de sa vie son obsession pour le trésor de l’Anglais.

Commentaires

« L’Amiral du brouillard » est l’un des plus beaux contes fantastiques du siècle dernier. Contrairement aux conteurs de l’époque qui se contentent de mettre en scène un narrateur rapportant une histoire qu’il a lui-même vécue ou qu’il tient d’un autre, Faucher de Saint-Maurice insère le récit légendaire de l’amiral Walker à l’intérieur des aventures que vivent ses deux principaux personnages, installant ainsi une double tension dramatique.

Le récit enchâssé puise aux sources de l’Histoire officielle qu’il transforme en légende. Il permet ainsi à Faucher de Saint-Maurice de rappeler un épisode du passé de la Nouvelle-France en butte aux visées conquérantes des Anglais tout en donnant libre cours à un fort sentiment romantique qui l’anime. En effet, si le destin de Walker apparaît marqué par une sorte de justice immanente qui protège la colonie française contre l’ennemi anglais, il est également exemplaire sur le plan sentimental en raison de la passion amoureuse qui unit l’officier et sa fiancée. Cette très belle histoire d’amour, qui connaît un dénouement tragique, combine deux grands courants littéraires, l’utilisation romanesque du matériau historique et le romantisme, avec énormément de brio et d’efficacité.

Par ailleurs, le récit des deux aventuriers n’est pas moins captivant et constitue à sa façon, tout comme l’autre mais au présent, un discours sur l’ambition démesurée qui perd son homme. L’auteur se montre prolixe dans la description des accessoires magiques qu’utilisent les deux chercheurs du trésor anglais : le Petit Albert, le parfum du samedi, les talismans, la main-de-gloire. Tout cela est fort intéressant, car on a l’impression de pénétrer dans l’arrière-boutique d’un alchimiste.

Dans « L’Amiral du brouillard », le prosateur mélange habilement l’histoire, l’occultisme, l’amour et l’aventure en un cocktail rafraîchissant qui doit son effervescence et son pétillement à l’écriture vivifiante de Faucher de Saint-Maurice. C’est haletant en même temps que recherché dans l’expression, car l’auteur n’hésite pas à se servir de différents procédés narratifs pour soutenir le rythme : dialogues nombreux, extraits de livres ou de journaux, récit oral livré avec verve. En outre, chacune des trois parties offre un point de vue narratif différent : un narrateur neutre qui utilise la troisième personne, puis un conteur qui raconte une légende et, enfin, une narration au « je » qui correspond à l’auteur.

Ce conte romantique et fantastique méritait bien d’être repris dans le présent volume car il illustre plusieurs grands thèmes : les revenants, l’amour au-delà de la mort, le vaisseau fantôme. [CJ]

  • Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 70-71.