À propos de cette édition

Éditeur
Cie d'Imprimerie canadienne
Genre
Fantastique
Longueur
Nouvelle
Paru dans
La Revue canadienne, vol. XV
Pagination
685-689
Lieu
Montréal
Année de parution
1878

Résumé/Sommaire

Le capitaine Ducharme, négociant en fourrures, a une cabane dans la région du lac Michigan et six engagés. Un soir, après l’insolite appel d’une alouette, ils sont terrorisés par un tintamarre autour de leur cabane ; cela se produit trois fois entre le soir et l’aurore. Ils songent à partir, mais l’arrivée d’un Amérindien qui s’offre à leur tenir compagnie les fait rester une deuxième nuit. Les mêmes phénomènes reviennent les plonger dans l’épouvante. La troisième nuit, encore plus bruyante, voit l’un des engagés, Saucier, soulevé de terre jusqu’au plafond de la cabane, puis jeté dans le foyer allumé ; Ducharme l’en retire. Ensuite, un cavalier diabolique monté sur un cheval blanc passe au galop. Les hommes quittent le campement, se réfugient chez le frère de Ducharme, qui voit Saucier parler au démon. Saucier n’est pas réengagé l’année suivante, mais il sera victime d’autres attaques, sans doute à cause d’un ancien pacte avec le diable.

Commentaires

L’introduction n’a pas ici la forme traditionnelle (prise de parole par un conteur lors d’une soirée). L’introduction et l’absence de lyrisme dans le texte, qui a la concision d’un compte rendu, visent à créer un effet de réel, parlant de témoignages sous serment et renvoyant le lecteur à la notice biographique du principal témoin, parue récemment dans La Revue canadienne. Même le titre, « Apparition du diable », a le style lapidaire d’une entrée d’annales. Par-delà l’existence authentique ou non de Dominique Ducharme, il serait intéressant de découvrir si, au XIXe siècle, une partie des lecteurs de La Revue canadienne croyait à un surnaturel ainsi présenté. (La typographie, la parution confèrent de nos jours encore une certaine crédibilité aux inventions les plus grossières ; qu’en était-il en 1878 ?)

À la lecture de ce conte, il est tentant d’établir une analogie avec certaines scènes de « Ikès le jongleur » de Taché, paru quinze ans plus tôt. Dans les deux cas, le diable se manifeste par une agitation à l’extérieur de la cabane, ou autour d’elle, entre autres par un sifflement aigu et des cris (les mots reviennent dans les deux textes). Celui d’Hudon est cependant plus détaillé, la manifestation du diable est polyphonique et accompagnée par la foudre (sans compter l’insolite prélude d’un chant d’alouette). Elle a aussi pour effet de terroriser les hommes, alors que le narrateur de Taché restait bien maître de ses réactions. Il demeure que le diablotin d’Ikès était chétif, sans grande envergure. Celui de Saucier est peut-être Satan lui-même : figure affreuse, yeux lançant des flammes.

Selon Maurice Lemire, dans son introduction au volume premier du Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, les êtres surnaturels « sont des manifestations du sentiment de culpabilité que devrait engendrer le péché ». Bien qu’antérieur à plusieurs textes du XIXe siècle que j’ai eu à lire, « Apparition du diable » me paraît d’une facture beaucoup moins traditionnelle ou conservatrice. Si la thématique de la culpabilité et du châtiment est bien présente, elle ne s’accompagne pas ici d’une fatalité inexorable. L’intention édifiante se résume à une discrète mention à la fin. Saucier vit malgré le diable (bien que triste et taciturne) et Ducharme le reverra plusieurs années après, menant apparemment une existence plus rangée (donc ayant renoncé à son pacte avec le diable). Quant aux « péchés » ou aux fautes qu’aurait commis Saucier, Hudon n’en dit rien.

L’introduction, rappelons-le, visait à accréditer les faits du récit comme authentiques – à la manière de Poe, par exemple –, donnant donc plus d’impact à l’irruption du surnaturel. Elle s’accompagnait même d’une épigraphe anonyme : « Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable. »

Pour ces raisons, je suis tenté de voir en « Apparition du diable » un texte plus authentiquement fantastique que les contes surnaturels à saveur religieuse. [DS]

  • Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 102-104.