À propos de cette édition

Éditeur
L'Hexagone
Titre et numéro de la collection
Fictions
Genre
Hybride
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
97
Lieu
Montréal
Année de parution
1986
ISBN
2890062503
Support
Papier
Illustration

Résumé/Sommaire

[4 FY ; 4 HG]
L'Endroit
Le Printemps
L'Été
L'Automne
L'Hiver
L'Envers
Nord
Ouest
Sud
Est

 

Commentaires

Avec Après l’Éden, Marcel Godin propose un recueil étonnant de la part d’un écrivain plutôt classique qui a publié sa première œuvre de fiction en 1961, ayant eu le privilège d’inaugurer la fameuse collection « Les Romanciers du Jour ». Après l’Éden correspond à la deuxième partie du livre, un ouvrage très bien construit présentant l’endroit et l’envers du monde. Les quatre nouvelles de la deuxième partie font écho aux quatre nouvelles de la première, quoique peu d’éléments rattachent la nouvelle réaliste à son équivalent qui fait référence à un univers de fantasy. 
La structure narrative repose sur la triade saison/couleur/point cardinal, soit printemps/jaune/Est, été/noir/Sud, automne/rouge/Ouest et hiver/blanc/Nord. Dans la première partie, les nouvelles réalistes, plus classiques mais néanmoins émouvantes, évoquent des souvenirs de l’enfance qui vont jusqu’au début de l’âge adulte. L’auteur saisit un moment particulier de la saison qui cristallise le sentiment de bonheur, de plénitude et de communion profonde avec la nature. On note une progression de l’insouciance à la peur, de la légèreté au tragique. La beauté du monde est célébrée alors que la nature, malgré des manifestations parfois éprouvantes pour les humains (un violent orage en été, le froid qui peut être mortel), apparaît somme toute bienveillante et source d’émerveillement. 
Dans la deuxième partie, les nouvelles nous transportent dans un univers où abondent les images cauchemardesques de violence, d’oppression et de mépris pour la vie humaine. Ici, ce n’est plus la nature qui représente une menace, mais bien l’homme dans sa bêtise, son goût du pouvoir et son insensibilité. Despotisme, totalitarisme, capitalisme sauvage, tout y passe dans la fureur dénonciatrice du narrateur omniscient que l’on ne peut s’empêcher d’associer à Marcel Godin lui-même. Un mot sert de fil d’ariane à la nouvelle correspondante. Dans « Le Printemps », un enfant se souvient d’une journée où il a fait l’école buissonnière pour voir la neige fondre au soleil. Il termine sa petite escapade en se rendant au dépotoir de la ville où un ermite, merveilleux conteur, lui fait visiter le monde par ses récits imaginaires. Le dépotoir devient le sésame de la nouvelle « Est ». 
Dans « L’Été », un orage subit et violent, accompagné de noirs nuages, interrompt momentanément la splendeur d’une chaude journée estivale sans perturber pour autant une femme appelée Marie dont la présence magnétique symbolise l’insouciance de l’été et introduit sa version noire, la reine dans « Sud ». C’est sans doute dans « L’Automne » que le lien entre les deux nouvelles qui agissent comme des repoussoirs est le plus marquant. Le narrateur relate la partie de chasse à l’orignal qui se conclue par le dépeçage de la bête et sa consommation dans des agapes qui réunissent deux couples. Le rapport entre l’homme et la bête en est un de communion et repose sur un équilibre fragile. Quand celui-ci est rompu, cela donne lieu à des scènes d’horreur, de guerre et de génocide comme dans « Ouest ». L’allusion est limpide : la meute est constituée de « chiens d’une race impure, amalgame de bêtes étranges qui se seraient accouplées dans le délire d’un siècle de déraison où l’on ne différenciait plus les hommes des bêtes ».
Enfin, dans « L’Hiver », le récit d’un jeune homme surpris par le froid en pleine forêt (survivra-t-il ? mourra-t-il ?), échos des récits de chantiers de bois, n’a rien de bien original mais se termine par ces mots qui laissent place à toutes sortes d’interprétations (onirisme, réalité alternative, univers parallèles) en ce qui concerne la deuxième partie : « je tombai face contre neige [sic] dans les bras d’un linceuil [sic] où je perdis connaissance ». 
Que le style d’écriture soit identique dans les deux parties constitue pour moi une petite déception. Incantatoire, psalmodique, la langue me semble beaucoup plus appropriée dans la deuxième partie et la brièveté de chaque nouvelle en accentue l’efficacité. Je craignais un dérapage, un tourbillon d’images incohérentes mais, au contraire, l’effet poétique et apocalyptique induit par l’écriture dénote une belle maîtrise de celle-ci. 
Recueil sur le paradoxe de la condition humaine, Après l’Éden n’est pas de ces ouvrages prétentieux et amphigouriques qui suscitent l’ennui. Ode amoureuse adressée à la nature autant que cri du cœur indigné et dénonciateur des asservissements de toutes sortes, cette œuvre de Marcel Godin mérite qu’on s’y arrête. [CJ]

Références

  • Émond, Danny, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 38-39.