À propos de cette édition

Éditeur
imagine…
Genre
Science-fiction
Longueur
Nouvelle
Paru dans
imagine… 41
Pagination
41-55
Lieu
Montréal
Année de parution
1987
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Jean Besse a eu la chance de gagner, à la loterie nationale de la Fête du travail, un emploi d’astronaute. Envoyé aussitôt en mission, il se pose sur une planète qui ressemble à une Terre bucolique et idéale. Là, il rencontre une vieille dame qui lui désigne des tâches manuelles à faire, comme le jardinage autour de sa maison. Mais le paradis se révèle en fait une hallucination causée par une bactérie que le gouvernement se propose de cultiver et d’administrer à la population quand Besse reviendra sur Terre.

Commentaires

Dans cette nouvelle, Victor Frigerio nous offre une variation sur un thème qu’il avait déjà abordé dans « Au bout de la rue » : le marché du travail. Devant la prise en charge du fonctionnement de la société par les machines, les humains d’« Au bout de la rue » vivaient un chômage chronique. Avec « Arbeit Macht Frei », la situation est inversée : presque tous travaillent. Mais, dans les deux cas, le paysage se révèle profondément dystopique.

Réussite tant au niveau du ton que du traitement du sujet, cette nouvelle joue avec efficacité sur les clichés de la classe populaire et de la campagne idyllique, de même que sur deux acceptions du couple travail/liberté. En effet, celui-ci renvoie tout d’abord à la notion de liberté que donne un travail et au sentiment patriotique du “service à la nation”; tous les citoyens ont le “droit” de travailler. Pour accentuer le caractère “démocratique” de l’obligation, il se fait une distribution aléatoire de l’emploi. D’où aliénation – et allusion au monde nazi.

Qu’on ne s’y trompe pas cependant : le travail est factice, les machines faisant tout, ce qui détruit la liberté. À cette vision totalitaire du marché du travail se juxtapose un regard nostalgique sur le travail manuel qui rend à l’homme sa dignité. Devant l’incompréhensibilité du monde et son inutilité dans la société, l’homme acquiert la paix en “cultivant son jardin”. La société trouvera bientôt la solution (finale) pour unir les deux conceptions contraires. Grâce à la bactérie, les citoyens se plieront avec joie aux travaux forcés devenus à la fois libérateurs et imaginaires. Ici encore, l’homme se retrouve bafoué dans sa dignité. La référence à l’aspect concentrationnaire de la société nazie est donc éloquente, le titre de la nouvelle – qu’on pourrait traduire par  – étant l’inscription qui coiffait l’entrée des camps de concentration d’Hitler.

Le caractère dystopique du propos est renforcé par le ton bonhomme choisi par le narrateur. Frigerio utilise une écriture familière, argotique par moments, pour décrire la manipulation de la population par l’État. Le lecteur découvre cette société à travers le regard de Jean, lui-même biaisé par le discours social. Sa vision du bonheur et de son environnement se traduit par une surenchère de clichés : campagne paradisiaque, musique d’accordéon, etc. Le travail sur le cliché s’accompagne en outre d’une narration intelligente qui sait ménager ses effets. Le récit accroche par son déroulement "à surprises" et son humour. De fait, tout devient une immense farce dans le texte, une farce amère qui révèle l’impasse d’une société qui a perdu le respect de l’homme.

On ne peut qu’encourager Victor Frigerio à poursuivre son travail d’écriture. Un talent à suivre… [SB]

  • Source : L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 88-89.