À propos de cette édition

Éditeur
L'instant même
Genre
Hybride
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
188
Lieu
Québec
Année de parution
1997
ISBN
9782921197755
Support
Papier
Illustration

Résumé/Sommaire

[19 FA ; 1 SF ; 7 HG]
L'Assassiné de l'intérieur
Avant et après le camion (Histoires d'outre-mère… I)
Le Chirurgien saignait parfois
Solitude en stéréo
Le Fossoyeur perpétuel
Le Piéton de l'espoir
La Bête à bonheur (Histoires d'outre-mère… II)
Des larmes et de la poussière
L'Homme que le temps grugeait
Tête de tôle
L'Homme qui criait du papier
Nous, les morceaux… le monde de vous (Histoires d'outre-mère… III)
L'Enfant qui collait
Sous la peau, l'absence
Le Poids de l'ombre
L'Autoroute de rêve
La Vie en pointillé (Histoires d'outre-mère… IV)
L'Enfant couvert d'argent
Fenêtre sur vue
Prisonnier du vide
La Dernière Lettre du montreur de mots
Le Murmure étouffé (Histoires d'outre-mère… V)
La Petite Fille qui mourait d'ennui
L'Enfant bosselé
La Double Peau d'Octave
Le Réparateur d'histoires
Ébauches à voix H/F alternées puis fondues (Histoires d'outre-mère… VI)

Autres parutions

Commentaires

Quel étrange recueil que celui de Jean-Jacques Pelletier ! Vingt et une nouvelles entrecoupées de six intercalaires poétiques portant tous le sous-titre « Histoire d’outre-mère », un style simple et efficace à l’extrême et surtout des histoires tordues qui pourraient être risibles si elles n’étaient pas si tragiques !

Le titre lui-même peut paraître énigmatique, mais, en fait, rarement en rencontra-t-on un qui fut aussi programmatique. En effet, la plupart des personnages traversant ces nouvelles finissent par être assassinés, tués, anéantis par un mal qui les ronge de l’intérieur, que ce mal consiste en un couteau qui lentement leur pousse dans la poitrine (la nouvelle éponyme), en un torrent de larmes qui ne cesse de s’écouler et laisse le personnage desséché (« Des larmes et de la poussière ») ou en une redoutable carie qui s’étend à l’être entier (« Tête de tôle »).

Parfois, certains des personnages mis en scène dans ces nouvelles, menacés d’anéantissement, finissent par vaincre leur destin, mais alors aussi ils meurent, au sens figuré, pour mieux renaître. Dans plusieurs de ces nouvelles, c’est par le rêve qu’ils s’affranchissent de leur mal, comme c’est le cas dans « L’Autoroute de rêve », dans « La Petite Fille qui mourait d’ennui » ou dans « Sous la peau, l’absence ».

Toujours si l’on se reporte au titre, on note également que les personnages sont assassinés au sens passif, comme en témoigne l’emploi du participe passé : personne n’agit pour les tuer, les autres personnages ne sont là que pour constater l’inéluctable, et pourtant les personnages frappés de ces redoutables syndromes souffrent et parfois meurent. Ainsi, « L’Enfant couvert d’argent » est victime de sa propre nature, et même si cela est en train de le tuer, il n’imagine pas d’autre vie car c’est la seule condition d’existence qu’il connaît et qui l’unit aux autres. Bien au contraire, si parfois les personnages agissent, c’est envers et contre eux-mêmes, contre leur propre corps, comme « L’Enfant bosselé » qui comprend qu’il devra se faire violence pour nouer un contact moins douloureux avec la vie. Même quand le destin se profilant à l’horizon n’est pas à proprement parler tragique, le personnage apparaît comme soumis à sa propre fatalité, comme « Le Piéton de l’espoir » qui ne cesse pas de marcher même si ses pas l’entraînent dans des lieux de plus en plus inquiétants.

Par ailleurs, si une menace plane sur les personnages, et si celle-ci provient bel et bien de l’intérieur, on peut dire que le « de » en trahit aussi l’origine figurée, chacun des personnages étant agressé par son propre intérieur. Par exemple, c’est la nature intrinsèque d’Octave (« La Double Peau d’Octave ») qui l’a rendu gros et qui le garde gros alors même qu’il a cessé de manger. Frédéric, dans la nouvelle « L’Homme qui criait du papier » meurt parce qu’il a épuisé tous les mots qui étaient en lui et qu’il a expulsés l’un après l’autre. Même la vieillesse est présentée comme un ennemi venu de l’intérieur pour nous vaincre (« Le Fossoyeur perpétuel »).

Les assassinés des histoires de Pelletier se présentent donc, dès le titre, comme des victimes passives… d’elles-mêmes ou d’une partie d’elles-mêmes. En poussant un peu plus loin l’interprétation, on constate donc qu’il se présente ici une scission entre l’intérieur et l’extérieur, entre le vivant et l’assassiné, entre l’actif et le passif, clivage qui se situe peut-être au cœur même des personnages de Pelletier, tel Julius dans « L’Autoroute de rêve » qui se divise littéralement en deux, entre deux univers, entre deux mondes dont il ne sait plus lequel est le rêve, lequel est la réalité. On pourrait même entrevoir, dès le titre, comment s’instaure un système sémiotique où, une chose appelant son contraire, il s’établit une circulation depuis l’intérieur/actif/ vivant vers l’assassiné/passif/ extérieur de même qu’une relation d’un sujet intérieur (vivant) agissant sur un objet extérieur (non vivant). Cela se traduit par la récurrence du rêve ou, de son équivalent, la construction d’un monde par les mots (« Le Réparateur d’histoires », « Le Poids de l’ombre », « L’Homme qui criait du papier »).

Le recueil est cependant offert comme une œuvre organique au sein de laquelle les textes ne sont pas disséminés au hasard. De la première nouvelle au dernier poème, il se dessine un mouvement par lequel le personnage prend de l’assurance face à son affliction et, de victime passive qu’il était, redresse l’échine pour s’affranchir du mal en s’affranchissant du symptôme. Cette progression est ponctuée par les intercalaires poétiques qui, dans un tel contexte, prennent tout leur sens et acquièrent paradoxalement une portée analytique par opposition aux récits qui se contentent de dire ce qui se passe. Lues comme un seul et unique texte en six temps, ces pages de poésie livrent l’image d’un sujet en marche vers l’intégration, depuis des débuts disjoints où, comme un objet, il est soumis à la volonté des autres jusqu’à une ère où l’emploi du « nous » manifeste son unification. Une telle lecture est d’ailleurs appuyée par le titre qui présente le recueil comme le récit d’un unique sujet « assassiné », de même que par le sous-titre des intercalaires poétiques suggérant qu’ils sont les six parties d’un seul et même texte.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce recueil qui, par son traitement même, commande l’analyse – et les pistes d’analyse sont ici pratiquement sans fin ! Décidément, Jean-Jacques Pelletier livre ici une œuvre aux ramifications multiples. Et une œuvre pour le moins inclassable : fantastique ou science-fiction, métaphore ou allégorie ? Bien sûr, direz-vous, puisqu’on a jugé bon de commenter ce recueil dans L’ASFFQ, et puisque ce dernier faisait aussi partie de la liste des œuvres évaluées pour le Grand Prix de la science-fiction et du fantastique québécois, on peut en conclure de facto que la dose science-fictionnelle ou fantastique est suffisamment généreuse. Mais cela ne traduit pas toute la complexité du travail créatif à l’œuvre dans chaque nouvelle. Ainsi, certaines nouvelles retiennent de la science-fiction cette propension à redonner un sens réel aux expressions consacrées : sous la plume de Pelletier, le temps gruge littéralement les êtres, un enfant collant ne l’est pas que peu, et on ne fait pas de blagues avec celle qui meurt d’ennui. Cependant, l’auteur inscrit cette resémantisation du syntagme figé dans un système fictionnel qui tient plus de Vian que de Sheckley (disons). De même, si certains des phénomènes étranges qu’il imagine sont à classer sous la rubrique du fantastique, leur traitement, lui, n’en relève pas vraiment : sauf exception, chacun de ces événements, tout en se présentant comme un cas isolé, semble faire partie de la logique de l’univers dans lequel l’auteur campe ses récits. De plus, au contraire du fantastique, chacune de ces histoires peut se répéter : la femme témoin de la mort du personnage de « L’Assassiné de l’intérieur » semble craindre qu’un pareil phénomène lui arrive, à elle ; « qui serait le prochain ? » se demandent les médecins de « L’Homme que le temps grugeait ». Et pourtant, certaines nouvelles se situent à la frontière entre le récit autonome et la parabole, chaque « maladie » étrange affectant les personnages pouvant être perçue comme la métaphore d’un désordre intérieur.

Une exploration du désordre psychosomatique ? Peut-être bien. Une œuvre particulièrement efficace, en tout cas, qui trahit un imaginaire débridé et de solides talents de conteur. [SBé]

  • Source : L'ASFFQ 1997, Alire, p. 144-149.

Références

  • Benoit, Élisabeth, La Presse, 09-11-1997, p. B 3.
  • Bordeleau, Francine, XYZ 57, p. 87-88.
  • Gélinas, Ariane, Brins d'éternité 29, p. 81.
  • Morin, Hugues, Solaris 124, p. 29.
  • Perron, Gilles, Québec français 109, p. 12.
  • Potvin, Claudine, Lettres québécoises 92, p. 34-35.