À propos de cette édition

Langue
Français
Éditeur
Le Sabord
Genre
Fantastique
Longueur
Novella
Format
Livre
Pagination
92 / 88
Lieu
Trois-Rivières
Année de parution
2000
ISBN
9782922685039
Support
—> Un exemplaire papier serait le bienvenu…

Résumé/Sommaire

Le héros de cette histoire, appelons-le Canoto, voit le jour à Venise en 992. À sa naissance, il présente toutes les caractéristiques du bébé standard. Mais le temps qui passe révèle petit à petit que le poupon n’évolue pas à la vitesse normale. C’est comme s’il faisait du surplace. Il ne grandit pas, ne prend pas de poids, bref, il ne vieillit pas comme on serait en droit de s’y attendre. Sa petite enfance durera des décennies, sa jeunesse des siècles. Et puis on le retrouve mille ans plus tard. Pas sa personne en réalité, mais sa dépouille, qu’une bande de chirurgiens découpe en menus morceaux dans un laboratoire médical de Montréal.

L’histoire prodigieuse de Canoto se révèle ainsi par segments, par échantillons que les scalpels retranchent à l’oubli : la chirurgie dévoile une biographie somatique – selon les termes de l’auteur – à partir d’une mémoire inscrite non pas dans la matière grise et les neurones mais dans toutes les parties, muscles et tendons, tissus et organes, du corps encore incroyablement sain de cet individu phénoménal, de ce… millénaire ! Le cadavre disséqué se donne comme un atlas de l’après-vie où sont enregistrés les souvenirs, les destinations, les chemins, les détours, les connaissances, les ivresses et les déprimes, les expériences, les rencontres, les apprentissages et les miracles quotidiens de la survie.

De Venise jusqu’en Chine par le Tibet, retour en Perse, l’éternel jouvenceau explore d’abord les confins de l’univers connu pour revenir participer à la vie de ses contemporains au Proche-Orient et dans les pays de la Méditerranée. Il s’oriente alors progressivement vers des pays au climat moins clément : un long épisode scandinave, ensuite l’Angleterre, d’où il s’embarque sur le Titanic à destination de l’Amérique du Nord en 1912. Mais il y a tellement plus que les voyages. Que dire des rencontres par exemple, le hasard qui vous met sur le chemin de Dante Alighieri, de Leonardo da Vinci ou de Paracelse ? Que dire des événements, des croisades, des couronnements, des guerres et de tout le reste ? Mais rien sur la maladie. Jamais la maladie.

Malgré la peste, les épidémies, les famines, les épreuves physiques et morales, Canoto – ou Carlo, ou Arco, peu importe le nom, il en a usé des quantités – survit à tout, neutralise toute espèce de virus qui patrouille dans les parages, se rétablit des plus mortelles blessures en un temps record. Rien ne le tue en fait. Il disposera donc de ces interminables siècles pour jouer le drame de sa vie : humain – quoique à la limite de la monstruosité –, il vit parmi les humains sans jamais parvenir à se synchroniser avec eux. Il mourra ainsi qu’il est né et comme il aura vécu : à son propre rythme et dans l’incompréhension la plus totale.

Commentaires

Avec un livre aussi touffu, par où convient-il donc de commencer ? D’abord le livre lui-même, l’objet ? ou encore le fait qu’il soit bilingue et tête-bêche ? l’histoire peut-être ? les thèmes ? la forme ? Voilà, aussi bien commencer par là, la forme. Le récit prend la forme d’un collage où les séquences de narration, issues de l’anatomie de Canoto, et de son point de vue également, alternent avec des bribes du rapport d’autopsie du docteur Lorraine Sheppard, pathologiste, auxquelles s’ajoutent le rapport d’un labo de linguistique, le rapport du médecin légiste en chef, le docteur Theodore Grant, un rapport d’analyse des tissus, les notes personnelles des mêmes Sheppard & Grant ainsi que la transcription de trois entrevues. Dans les parties (auto)biographiques, le discours va dans tous les sens, en liberté ; le narrateur peut aussi bien confier ses réflexions sur divers sujets que relater des événements passés, exprimer ses sentiments et ses états d’âme ou invoquer ses croyances. L’important, c’est que les séquences ont été tranchées dans le vif, échantillonnées. Ça commence n’importe où, au beau milieu d’un mot ou d’une idée et ça s’arrête de la même manière. Quelques paragraphes à peine le plus souvent. Ces échantillons entrecroisent les extraits, également échantillonnés, des rapports d’autopsie.

La véritable intrigue ne consiste pas tant à reconstituer la biographie du personnage qu’à découvrir, en même temps que l’équipe médicale, comment, ou par quel prodige, un homme peut-il vivre plus de cent et quelques années ? En observant par-dessus l’épaule des pathologistes, coroners, médecins légistes et autres chirurgiens qui font la découverte, le lecteur apprend, s’étonne, comprend et s’émerveille en même temps qu’eux. Et puis tant qu’à parler forme, il ne faut surtout pas oublier le bandeau, celui qui rythme et accompagne la lecture. Imprimée en continu sur une douzaine de pages, une étroite bande s’étale tête-bêche comme un parchemin. Faite d’un patchwork de matériaux divers, elle représente la vie de Canoto au moyen de dessins, de symboles, de textures, de traits, de couleurs. L’artifice graphique prend une dimension symbolique puisqu’il faut découper ce bandeau imprimé sur papier glacé pour lire L’Atlas de l’au-delà : les feuilles (en continu) qui portent le bandeau sont intercalées aux douze pages et enveloppent les cahiers imprimés. Quand le futur lecteur tranche les pages traversées par le bandeau, il se met à son insu dans la peau du pathologiste et rompt, lui aussi, le fil de la vie du héros pour laisser surgir l’histoire, le langage. L’éditeur fournit d’ailleurs une carte coupe-papier fort utile.

Mieux qu’une tapisserie tissée en contrepoint des épisodes narratifs pour les illustrer, la bande patchwork participe au récit. Ce bandeau, d’ailleurs, n’est pas la seule dette que L’Atlas de l’au-delà a contractée envers les arts visuels. Les illustrations, du même Richard Purdy, contribuent elles aussi à une meilleure intelligence du texte. De minuscules médaillons dispersés au long des pages représentent des fragments d’anatomie, radiographies, photographies ou négatifs, en noir et blanc, avec une précision méticuleuse comparable à celle que l’écrivain déploie pour décrire les gestes chirurgicaux du dépeçage et de l’équarrissage. Cette précision, en plus du noir et blanc, neutralise la charge émotive propre au sujet tel qu’il est représenté d’habitude, l’hémoglobine et le ketchup en couleurs dominantes.

Avec L’Atlas de l’au-delà, Richard Purdy réussit une remarquable intégration des expressions graphique et littéraire, chacune des deux renforçant l’efficacité de l’autre. Le livre profite en plus d’un magnifique travail d’édition où tous les aspects matériels, papier, maquette, reliure, lettrines originales, caractères, couvertures (deux illustrations, une pour le côté français et une pour le côté anglais) concourent pour en faire un objet unique. Imaginé et construit multidisciplinaire, L’Atlas de l’au-delà s’avère une curiosité hors collection, à la fois livre d’art et récit, quelque chose d’énormément hors norme qui procure une expérience incomparable aux privilégiés qui le tiendront entre leurs mains. [RG]

  • Source : L'ASFFQ 2000, Alire, p. 42-44.