À propos de cette édition

Éditeur
Du roseau
Titre et numéro de la collection
Garamond
Genre
Hybride
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
144
Lieu
Montréal
Année de parution
1987
Support
Papier

Résumé/Sommaire

[5 FA ; 7 HG]
Le Cercle métallique
La Poupée gigogne
Les Voyageurs blancs
La Gironde
Soie mauve
La Montée du loup-garou
L'Interdite
L'Homme à l'enfant
L'Intrus
Fêlures
« Crêpe de Chine »
Rangoon ou l'imaginaire enclos

Autres parutions

Commentaires

Je comprends un peu Aude de ne pas vouloir se prononcer sur la nature de ses textes. C’est d’ailleurs une attitude plus répandue chez les auteurs soupçonnés de complicité avec le fantastique que chez les auteurs associés à la SF, cette volonté de rejeter toute étiquette. « Je ne veux pas dire que je fais de la littérature fantastique. Mais j'aime basculer dans le fantastique, j'aime pratiquer le passage du réalisme à un autre niveau de conscience. » (La Presse, 18 avril 1987, P. E3). Ses textes se situent tellement à la frontière du fantasmatique et du fantastique que chacun aura son opinion sur ce sujet. Mais quand on s’appelle Claudette Charbonneau-Tissot, qu’on a publié L’Assembleur et Contes pour hydrocéphales adultes, il est certaines affinités qu’on ne peut renier.

Dans ce recueil de douze nouvelles qui a pour titre Banc de brume, il y en a cinq que je considère comme étant fantastiques. Il y en a quatre autres qui sont résolument réalistes. Celles qui restent se situent justement à mi-chemin entre deux genres en présentant des images de la femme qui correspondent à des archétypes puissants : la mère-matrice (« La Gironde »), la femme-nature (« Soie mauve »), la mère protectrice (« L’Homme à l’enfant »). Il faut donc chercher ailleurs que dans l’allégeance générique des nouvelles l’unité du recueil. Elle se trouve plutôt dans la représentation de l’image de la femme que l’auteure aborde sous diverses facettes. C’est ainsi qu’elle présente plusieurs portraits de femmes, de l’adolescente anorexique à l’épouse soumise à un mari brutal, en passant par l’artiste en quête de son unité. Les personnages féminins d’Aude sont pour la plupart en quête de leur identité et de leur autonomie. Leur aliénation me semble marquer une régression par rapport à la condition des personnages féminins de Contes pour hydrocéphales adultes, plus émancipés et anticonformistes.

Dans Banc de brume, l’auteure semble ne vouloir prendre aucunement en considération les acquis obtenus par le mouvement féministe. Tout reste à faire, si on en croit l’auteure, puisque rien n’a changé. C’est bien l’enseignement qu’il faut tirer de la première nouvelle, « Le Cercle métallique », qui nous ramène aux belles heures de la revendication féministe du milieu des années 1970. Ce texte, par son ton allégorique et percutant, rappelle le manifeste monumental de Louky Bersianik, L’Euguélionne. Aude raconte une histoire de prise de la parole par les femmes, première étape essentielle à toute véritable émancipation. Par la suite, il faut briser les comportements appris au cours de plusieurs siècles de conditionnement.

Cette fort belle nouvelle, qui laisse poindre l’espoir de lendemains meilleurs pour les femmes, demeure sans suite dans le reste du recueil. Je veux dire par là que les espoirs suscités par celle-ci ne se concrétisent pas. La dernière nouvelle, « Rangoon ou l’imaginaire enclos », apparaît comme une variante de la première, ce qui renforce l’impression de cercle vicieux. Les deux personnages féminins sont considérés comme des femmes-objets. Elles portent toutes les deux une chaînette à la cheville, symbole de leur esclavage. Dans la première nouvelle, la femme finit par faire éclater sa cage de verre mais la libération n’est pas totale. Dans la dernière, la prison est intérieure : c’est la femme qui éclate et qui se prolonge sous la forme d’un chat. Serait-ce une autre étape ? Après avoir conquis la parole, la femme trouverait-elle sa liberté et son salut dans l’imaginaire ? Ou bien, l’auteure dresserait-elle dans Banc de brume un bilan définitif l’amenant à constater l’échec du mouvement féministe ? On pourrait le croire à la lumière des portraits de femmes qu’elle dépeint.

Chez Aude, les femmes sont mal dans leur peau. Leur malaise provient de différentes causes. Elles ne s’assument pas complètement et entretiennent des rapports difficiles avec leur corps. Elles sont en quête d’une unité qu’elles ne parviennent pas à reconstituer. La fragilité de leur être, qui provient d’un manque de confiance en soi, est constamment menacée d’effritement.

En outre, elles sont loin d’avoir trouvé le nouveau contrat amoureux dans leurs rapports avec les hommes car ceux-ci représentent encore pour plusieurs d’entre elles la source de leurs malheurs. Il est assez significatif que la seule relation homme/femme qui soit réussie concerne un mourant et une infirmière, dans « La Gironde ». Et encore, il n’y a pas de relation physique entre elle et lui. Elle lui invente plutôt une géante qui canalise les désirs de l’homme amaigri et dans laquelle il veut se perdre comme un enfant qui referait le trajet vers la matrice originelle. La réussite de cette relation est peut-être due au fait qu’elle n’est pas directe, mais transposée, transformée par l’imaginaire.

Le recueil d’Aude compte un grand nombre de femmes incapables d’établir une communication avec l’homme. Ces femmes sont donc seules, désemparées et souffrent d’un manque de tendresse et de compréhension. C’est parfois pathétique comme dans « La Poupée gigogne », histoire d’une adolescente qui devient anorexique parce qu’elle souffre du manque d’affection de ses parents véritables. C’est parfois lyrique et poétique comme dans « Crêpe de Chine », monologue intérieur d’une femme qui a tout quitté pour tenter de refaire son unité en mer de Chine. À défaut de la complémentarité masculine, les femmes peuvent compter sur une certaine solidarité féminine, appui que le mouvement féministe a le mérite d’avoir révélé.

Si Banc de brume partage avec Contes pour hydrocéphales adultes les mêmes préoccupations, soit la condition féminine, l’écriture en revanche est fort différente. Je préfère, quant à moi, l’écriture épurée, dépouillée et précise du dernier recueil, qui est aussi celle du roman précédent, L’Assembleur, à l’écriture étouffante et composée du premier recueil. Banc de brume traduit le désenchantement de l’auteure face aux relations humaines. Celles-ci ne vont jamais de soi, les personnages féminins d’Aude étant, par nature, renfermés sur soi. J’aurais aimé relever une certaine évolution à travers le recueil, chez ces personnages malheureux, aliénés, prisonniers d’une situation qui leur échappe.

Banc de brume n’en demeure pas moins un très bon recueil qui compte quelques nouvelles très fortes, d’une intensité remarquable. L’apport du fantastique n’y apparaît pas essentiel toutefois, car il n’est pas l’élément catalyseur du recueil. En fait, le thème qui caractérise les cinq nouvelles fantastiques coïncide avec celui du recueil : la quête de l’identité. Néanmoins, le fantastique autorise l’utilisation d’une image percutante, l’émiettement de l’être, que l’auteure traite au sens propre dans deux nouvelles, « Fêlures » et « Rangoon ou l’imaginaire enclos ». Aude se sert donc des possibilités offertes par le fantastique pour exprimer des choses que le réalisme ne permet pas. Ce fantastique nourrit des métaphores sur l’émancipation, sur le retour à l’enfance, sur la mort, sur la fragilité de l’être. Les personnages de ces nouvelles ressemblent plus cependant à des concepts qu’à des êtres en chair et en os. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 14-17.

Références

  • Cloutier, Georges-Henri, Solaris 78, p. 38.
  • Lord, Michel, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 77-79.
  • Moinaut, José, Magie rouge 21-22, p. 63.