À propos de cette édition

Éditeur
Requiem
Genre
Fantastique
Longueur
Nouvelle
Paru dans
Requiem 5
Pagination
6-8
Lieu
Longueuil
Année de parution
1975
Support
Papier

Résumé/Sommaire

À la mort de son oncle Gustave Philanselme, Simon hérite de la seule chose qui a subsisté de l’incendie meurtrier de sa boutique de Neubourb (sic) : une carafe de cristal contenant un hypnotique liquide violet. La nuit venue, le liquide se met à briller, lui révélant des visions hallucinées d’événements à venir qui le conduiront à sa perte : son arrestation pour le meurtre de Caroline, sa bien-aimée.

Commentaires

C’est là, dans les pages de ce cinquième numéro de Requiem, qu’ont été publiés les premiers balbutiements de ce qui allait devenir l’une des plus importantes contributions à la littérature fantastique québécoise, soit le « Cycle de Neubourg et de Granverger » de Daniel Sernine, regroupant une dizaine de romans (publiés entre 1980 et 1995) et trois recueils (publiés entre 1978 et 1983). Car il ne faut pas se le cacher : derrière la graphie « Neubourb », fruit d’une erreur de transcription de Norbert Spehner [NDLR : plus importante est l’erreur de montage signalée dans un erratum à la page 15 du numéro 6 de Requiem], se cache le Neubourg qui hante de son ombre monumentale autant les rives de la Paskédiac que l’imaginaire de toute une génération de lecteurs férus de fantastique. « La Bouteille » est la seconde nouvelle signée Daniel Sernine (né Alain Lortie) au sommaire de la revue, et ce sont là ses deux premières publications en carrière ; or déjà on sent le génial auteur poindre dans ce récit qui sera par la suite réédité dans le recueil Légendes du vieux manoir (1979) avant d’être refondu dans une seconde version publiée cette fois dans Les Portes mystérieuses (1993).
J’écris « poindre », car il faut admettre que le texte expose les quelques faiblesses de celui qui est alors un jeune auteur de la relève : quelques répétitions, quelques faiblesses syntaxiques, quelques tournures de phrases tenant du cliché qui démontrent une maturité d’écriture en devenir mais qui n’est alors pas encore complètement atteinte, comme une fleur qui amorce seulement son éclosion mais dont on devine déjà la splendeur.
Le récit en lui-même est envoûtant et évocateur, et il reste en mémoire longtemps après sa chute, même si cette dernière est un peu édulcorée par l’ajout d’une autocritique en caractères italiques jouxtant le récit. À la manière de Georges Bataille dans Histoire de l’œil, Sernine ajoute ainsi une réflexion analytique scotchée à la suite de la fiction dont elle parle, à savoir les nouvelles « Jalbert » et « La Bouteille » (notons que la première fut republiée en 1979 dans Les Contes de l’ombre avant d’être également refondue, comme la seconde, pour Les Portes mystérieuses). Une analyse où l’auteur souligne à gros traits le détachement qu’il ressent envers ses personnages (d’ailleurs illustré par un incipit s’ouvrant sur une autoréférenciation à la troisième personne, avant que le texte ne s’installe plus confortablement dans un « je » assumé), afin de se placer en gardien de leur destin nécessairement funeste.
En cela, il me semble qu’au lieu de « destin », Sernine aurait dû écrire « Fatalité », puisque c’est ce dont il est question – un futur figé, inaltérable et dont la finalité doit nécessairement être terrible. Terrible au même titre que cette bouteille, placée sur le chemin de Simon, et qui fige sa destinée au gré des visions qu’elle lui impose, faisant de lui l’esclave de l’oracle et du futur immuable qu’il dépeint, instrument de la Fatalité qui s’abat sur le protagoniste. La folie et le sang ne sauraient être des échappatoires ; ils sont condamnations et tourments, et annonciateurs de la victoire de la Fatalité – et la fin de tout espoir.
Il n’y pas d’espoir possible pour les protagonistes de Sernine, puisque même lorsque ceux-ci croient avoir échappé au surnaturel, comme Simon lorsqu’il brise la carafe violette, la Fatalité révèle alors sa duplicité, car il n’est point de salut possible. L’arrestation de Simon n’est, en ce sens, que la conséquence logique de l’action de cette funeste Fatalité incarnée par la mystérieuse bouteille au liquide violet. Quant au lecteur, celui-ci, un brin admiratif, regarde avec une émotion non contenue la corolle d’une terrible fleur sur le point de s’épanouir. Et on en redemande – aussi se jette-t-on sur Les Portes mystérieuses, question de redécouvrir les visions hallucinées tapies dans la lumière violacée de la carafe maudite.  [MRG]

  • Source : Les Années d'éclosion (1970-1978), Alire, p. 361-362.