À propos de cette édition

Éditeur
Berthiaume & Sabourin
Genre
Fantastique
Longueur
Feuilleton
Paru dans
Le Monde illustré, vol. XIV, n˚ 718
Pagination
644-645
Lieu
Montréal
Date de parution
05 février 1898

Résumé/Sommaire

Un fantôme hante la maison du « vénéré M. L’abbé A. Thérien, aumônier de la Maison de la Réforme de Montréal ». Cette demeure est située au nord de Papineauville, à la pointe sud du lac Thérien. On apprend qu’un jeune homme malade, venu de Montréal, y a été l’objet des tracasseries et des quolibets des travailleurs de l’endroit et que furieux, il est rentré à Montréal pour y mourir quelques semaines plus tard. Des Indiens qui gardent l’endroit sont témoins de phénomènes mystérieux, tout comme l’abbé Thérien venu dans la propriété avec l’abbé Ethier pour y passer une fin de semaine avec six de leurs étudiants. Après une dernière manifestation du spectre qui secoue la maison, les phénomènes de hantise cessent, ce qui laisse croire à la délivrance du revenant.

Commentaires

Cette « légende historique canadienne » nous raconte une histoire de fantôme très classique. L’argument est relativement simple. Dès le début, le narrateur s’adresse au lecteur (« suivez la décharge […] vous arriverez… ») pour lui expliquer où se trouve le lac, ainsi que la demeure de l’abbé Thérien, centre stratégique des événements mystérieux.

Cependant, le narrateur est avare de commentaires et de détails sur « le cadavre du lac ». Comme tout bon fantôme, ce dernier se manifeste par des bruits divers, des grincements et craquements sinistres. Parfois il joue du violon. Bernard, l’Indien qui surveille la maison, affirme avoir vu un cadavre sortir du lac et marcher vers la maison. Mais qui est-ce ? Est-ce le cadavre du jeune homme malade dont l’auteur nous a parlé dans la première partie et qui a blasphémé un soir de colère ? Ou est-ce la conséquence de la malédiction proférée à l’endroit de ses tourmenteurs : « Un soir, Henri n’y tenait plus : s’oubliant complètement, il se mit à […] maudire ses compagnons atterrés devant la violence de sa colère. » Le narrateur ne nous donne aucun détail sur l’identité du revenant. Nous ne pouvons que spéculer sur l’origine possible, voire la nature même de ce fantôme redoutable dont la présence glace le sang dans les veines des divers protagonistes.

Le sous-titre, « légende canadienne historique », nous laisse songeur. La légende, par définition issue de la tradition orale, repose souvent sur une base véridique : un fait d’armes, une anecdote, un événement marquant de la vie courante repris par la tradition populaire, « arrangé », déformé et amplifié.

Le narrateur nous précise maints repères géographiques pour situer la maison, évoque les dates et nous informe de l’état civil des personnages : « six de ses anciens élèves, aujourd’hui médecins ou avocats et M. l’abbé Ethier, curé aux États-Unis, ami d’enfance du bon prêtre ». De plus, les protagonistes de la deuxième partie discutent de la véracité des phénomènes surnaturels et l’abbé Thérien affirme : « Je crois à des choses extranaturelles, prouvées par des témoignages dignes de foi, reproduits en différents lieux, constatées par des hommes de vertu et de science éprouvées. » Nous ne sommes donc pas vraiment en territoire fictif, le narrateur évoque des faits « historiques », c’est-à-dire qui ont été réellement vécus par des personnages connus de lui.

Il s’agit donc moins d’un « conte » à proprement parler, que d’un « récit » sur fond légendaire, structuré comme un conte, et qui rapporte des événements surnaturels.

Notons que l’auteur réussit parfaitement à évoquer la peur panique ressentie par certains de ses protagonistes et que, contrairement à nombre d’histoires de cette époque, il n’y a pas d’intention morale ni didactique pour encombrer la narration ou désamorcer l’effet de terreur.

Tous ces éléments font de cette histoire un bon récit de fantôme, relativement moderne dans sa structure et dont l’auteur maîtrise avec brio l’art du dialogue. Seule la seconde moitié de la première partie reste problématique à cause de ses liens (?) peu évidents avec le reste du texte. Mais c’est un reproche mineur qui ne gâche pas trop le plaisir de la lecture. [NS]

  • Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 150-151.