À propos de cette édition

Langue
Français
Éditeur
Écrits du Canada français
Genre
Fantastique
Longueur
Nouvelle
Paru dans
Écrits du Canada français 25
Pagination
155-160
Lieu
Montréal
Année de parution
1969

Résumé/Sommaire

Un étranger prend possession de sa nouvelle chambre. La première nuit, il est incommodé par un bruit lointain de machine. C’est fatigué qu’il part travailler le matin venu. À son retour, il remarque qu’une fine poussière s’est infiltrée dans les moindres recoins de sa chambre. Pourtant, il n’y a trace de travaux nulle part. La nuit suivante, le bruit de machinerie se fait plus insistant. Au matin, le plancher est recouvert de boue. De nuit en nuit, les travaux vont s’amplifiant. Strelinik n’arrive plus à dormir. Un immense chantier est à l’œuvre au fond du gouffre qu’est devenue la chambre 38. La propriétaire s’excuse. Strelinik n’y comprend rien : la locataire du dessous l’a pourtant remercié d’être calme… Un soir, une ville entière l’attend dans sa chambre. Strelinik s’y perd. Redevient un étranger. Il loue une chambre quelque part, s’endort. Il se réveille au milieu d’une ville en ruines. Au loin, une porte se dessine. Il l’ouvre pour se retrouver dans sa chambre initiale.

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Commentaires

« La Chambre 38 » est un conte déroutant et vertigineux. L’enchaînement de faits inconcevables pour l’esprit ne laisse aucun répit au personnage. Carrier met en scène un étranger prisonnier de son exil. Car l’errance ne semble jamais vouloir s’achever. Le vertige naît de la disparation des référents, de la dissolution des frontières entre le rêve et la réalité. Après avoir bien fait ressortir l’opposition entre la ville (lieu de travail et lieu public associé au monde diurne) et la chambre (lieu de repos et lieu intime associé au monde nocturne), Carrier renverse habilement cet ordre des choses. Ainsi, la nuit, des bruits de machinerie empêchent tout sommeil chez Strelinik. Lui seul est touché : aucun son ne franchit les limites de sa chambre. À l’extérieur, dans la ville, tout repose…

Le sommeil ne redeviendra possible que lorsque la cité, complétée, se dressera au cœur de la chambre. Ce soir-là, Strelinik pénètre dans une ville anonyme, comme toutes celles qu’il a traversées. Il dort dans une chambre trouvée au hasard des rues. Mais l’inquiétude ne le quitte pas puisqu’à son réveil, le décor s’est à nouveau dérobé. Tout est en constante métamorphose dès qu’il ferme les yeux. Strelinik, tel un condamné, se résigne à son sort.

Et puis, une phrase, au tout début du texte, nous revient à l’esprit : « Strelinik descend, il marche dans les rues comme si la ville était sa chambre, il achète un hoya gentil (une plante) et retourne chez lui. » C’était avant les événements. Le hoya, sur lequel l’auteur revient à la fin du récit (il lui donne du vin), y serait-il pour quelque chose ? Le personnage aurait-il tout halluciné ? Alors, la boue qu’il traîne derrière lui, les remarques de la propriétaire à propos des travaux de restauration, et la réaction de la locataire du dessous ?

Voilà le jeu auquel nous convie Carrier. L’un de ses meilleurs contes, qui montre que la littérature fantastique au Québec est en pleine métamorphose, en pleine rupture par rapport aux œuvres moralisatrices du passé. « La Chambre 38 » porte les indices d’une modernité, tant par le sujet que par l’écriture (l’influence du surréalisme y est manifeste et on pourrait même y déceler une parenté avec Cortázar). [RP]

  • Source : La Décennie charnière (1960-1969), Alire, p. 29-30.