À propos de cette édition

Éditeur
Logiques
Titre et numéro de la collection
Autres mers, autres mondes - 11
Genre
Science-fiction
Longueur
Novelette
Paru dans
Sol
Pagination
9-47
Lieu
Montréal
Année de parution
1991
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Une Béninoise, Yranne, profite d’une nouvelle politique du gouvernement québécois pour venir compléter ses études doctorales à Québecville. Elle noue une relation avec un fonctionnaire du ministère de l’Immigration, Gilbert Prévost, qui se livre à un odieux chantage sur la jeune femme afin qu’elle adhère au programme nataliste de l’État. Yranne est prise au piège : d’une part, elle ne veut pas retourner dans son pays sans avoir obtenu son doctorat, d’autre part, elle ne peut accepter la maternité qui mettrait en veilleuse ses études. La seule issue lui apparaît le suicide.

Commentaires

« La Chute » fait le lien avec « Les Mères » qui contenait un bref résumé de l’histoire tragique d’Yranne. Les deux textes appartiennent en effet à un même univers dans lequel l’auteur met en scène un Québec devenu indépendant aux prises avec un taux de natalité désespérément bas. Bouchard en profite pour questionner les mesures natalistes adoptées par le gouvernement pour freiner la chute de l’indice démographique.

Le récit prend la forme d’un journal intime dans lequel Yranne s’adresse à sa mère et à toutes les femmes d’Afrique afin d’expliquer ce qui l’a conduite au suicide. Le ton et le discours féministe, de même que la condition des femmes africaines, ne sont pas sans rappeler certains passages de L’Euguélionne de Louky Bersianik. Yranne est animée d’un très fort esprit féministe qui l’amène à démonter le mécanisme des mesures sociales mises en place pour faire porter encore une fois sur les femmes le poids de la responsabilité de la revanche des berceaux.

Si le goût de la dialectique chez les personnages de Guy Bouchard constitue un trait de caractère qui ne s’accorde pas toujours avec la cohérence interne du personnage, ce n’est pas le cas ici. Il ne faut pas oublier qu’Yranne est une théoricienne du féminisme qui fait des études doctorales. L’auteur est donc tout à fait justifié d’en faire une redoutable dialecticienne qui peut démolir la doctrine de Schopenhauer sur les femmes – « Je pense, donc j’essuie ! » En fait, elle sert au mieux les idées philosophiques de Bouchard sur le féminisme, le nationalisme, la liberté individuelle et le sens de l’Histoire.

N’empêche que l’intransigeance d’Yranne la range parmi les personnages un peu trop « purs et durs » pour être tout à fait crédibles. Passe encore qu’elle s’accroche à la mission dont elle se sent investie, au nom de toutes ses sœurs africaines qui ont dû renoncer aux études pour se conformer à la tradition. Mais son féminisme radical contamine d’autres sphères sociales, de sorte que la jeune femme se montre intolérante sur le plan de l’écologie, de la pollution et des habitudes de vie. Elle vilipende ainsi le mode de vie de Gilbert Prévost (alimentation, tabagisme, consommation d’alcool).

« La Chute » bénéficie toutefois d’une écriture parfaitement accordée aux origines de l’héroïne. Elle emprunte à la tradition orale alors que la narratrice s’adresse directement à sa mère et contient plusieurs métaphores qui traduisent les références culturelles propres à une Africaine. Même sur le plan lexical, l’auteur ne se prive pas de truffer son texte de faux verbes pronominaux comme pour donner raison à Gilbert qui en fait le reproche à la jeune femme.

« La Chute » est une solide nouvelle qui pose le dilemme de l’identité collective et de la liberté individuelle. Jusqu’où peut-on contraindre celle-ci au profit de la survie d’un peuple ? Guy Bouchard est un penseur qui s’aventure régulièrement sur le terrain de la littérature un peu comme Jules-Paul Tardivel à la fin du XIXe siècle. Il y a peu d’exemples de ce genre au Québec, encore moins en SFQ. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1991, Le Passeur, p. 39-40.