À propos de cette édition

Éditeur
NBJ
Genre
Fantastique
Longueur
Novelette
Paru dans
NBJ 58
Pagination
47-80
Lieu
Montréal
Année de parution
1977

Résumé/Sommaire

Dans cette ville, chaque immeuble abrite un peuple distinct « sans lien réel avec celui des autres immeubles ». Là où vit le narrateur, qui est aussi le scribe de cette « chronique conique » que nous lisons, les résidants s’adonnent à un jeu sans fin constitué de pions dont le moindre déplacement intempestif risque de provoquer l’effondrement de l’immeuble…

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Commentaires

Parmi les écrivains québécois, Louis-Philippe Hébert est sans conteste l’un des plus ardents représentants du formalisme et d’une écriture blanche marquée par l’absence d’effets, d’affects et d’émotions, ce dont témoigne éloquemment « Les Cônes », long texte d’un seul paragraphe.
Ici, l’anecdote est minimale : la nouvelle consiste essentiellement en la description minutieuse d’un jeu régi par des règles strictes et compliquées, alors que la position des pions a pour effet de modifier la configuration et l’inclinaison de ces immeubles « en forme d’entonnoir » – de pyramide inversée – dans lesquels vivent les citadins. Aussi le défi est-il d’obtenir « une lecture satisfaisante ». Les personnages sont quant à eux réduits à leur fonction : un narrateur-rédacteur et des locataires-joueurs sans autre identité définie, le maire, les mathématiciens, les peintres… Dans ce monde où l’existence est « soumise à l’absence de toute musique et aux exigences exténuantes de l’architecture », la peinture constitue d’ailleurs la forme d’art par excellence, voire la seule qui soit autorisée, et sert à « la glorification de notre complexe », précise le narrateur.
Les immeubles-cônes, qui tous s’appuient sur la paroi d’un cône unique, se meuvent dans l’espace mais fort heureusement, une conception hautement scientifique permet d’éviter les collisions. Ils sont « naturellement » en expansion, et prolifèrent aussi, à la faveur de chantiers qui troublent l’ordre ambiant, mais que rendent nécessaires les services « en pleine croissance ». Dans les bureaux, de vagues effectifs s’affairent donc aux calculs de trajectoires, à l’analyse des matériaux, à des constructions mathématiques et à des paramétrages divers. Est-ce, avec le jeu singulier auquel se livrent les locataires de « l’étage-casino », et dont le narrateur est lui-même bien incapable de s’expliquer les tenants et aboutissants, une façon d’occuper la population ?
Louis-Philippe Hébert propose une expérience de lecture assez déconcertante, où les repères spatio-temporels sont brouillés. Exercice de style d’abord et avant tout, ce texte nous plonge néanmoins dans un monde quelque peu étrange et oppressant qui exsude la déshumanisation au profit d’un cartésianisme et d’un technicisme à tout crin. Dans cette société appartenant à un futur indéterminé, n’entretient-on pas le fantasme qu’autour des complexes toute trace d’intervention humaine finisse par disparaître ? Des éléments tels une « religion de la complexité », l’obsession sécuritaire, un art évocateur du réalisme socialiste, une paranoïa diffuse – « Nous nous méfions même de nos rêves » –, une vie ultra-organisée à tous égards, un nous omniprésent dans la narration donnent en outre à la nouvelle des accents dystopiques. Contre l’absurdité dogmatique symbolisée par le jeu s’insinuent les doutes du narrateur, mais ce dernier est sans armes, hormis son désespoir.  [FB]

  • Source : Les Années d'éclosion (1970-1978), Alire, p. 256-257.