À propos de cette édition

Éditeur
Vents d'Ouest
Titre et numéro de la collection
Rafales
Genre
SFF
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
363
Lieu
Hull
Année de parution
1997
ISBN
9782921603447
Support
Papier
Illustration
Pierrette Lambert

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Commentaires

Un silence de quinze ans sépare la parution remarquée du premier roman de science-fiction d’Alain Bergeron, Un été de Jessica (1978), de celle de ses romans subséquents écrits pour la jeunesse (Le Chant des Hayats, L’Ombre dans le cristal). Mais ce silence n’était qu’illusion… Des collaborations régulières aux revues et anthologies québécoises de SF montrent bien que Bergeron n’a jamais délaissé l’écriture, et, mieux encore, que la nouvelle lui convient parfaitement. Parmi les treize nouvelles rassemblées ici, quatre ont en effet été prisées par divers jurys (Prix Boréal, Prix Solaris, Prix Septième continent et Prix Casper). Et il faut ajouter à cela l’obtention récente du Grand Prix 1998 de la science-fiction et du fantastique québécois, pour la publication de Corps-machines et rêves d’anges, qui vient confirmer le caractère exceptionnel d’une voix.

L’univers d’Alain Bergeron est rempli de mille et une trouvailles qui en font tout le charme. Le regard est nouveau, sensible, teinté de poésie. Par le biais de la SF, Bergeron dénonce l’oppression et le mensonge, la corruption et l’absence de compassion chez les hommes. Les grands thèmes de la SF se trouvent aussi abordés : le simulacre, avec tous les vertiges que cela entraîne (Bergeron n’a jamais caché l’influence de Philip K. Dick sur son propre travail) ; la fusion entre le corps et la machine, thème auquel se trouve rattachée l’exploration de l’espace virtuel ; l’interrogation sur la finalité de l’existence (la conscience pourrait être transférée hors du corps et accéder ainsi à une forme d’éternité) ; l’existence de temps parallèles ; la représentation d’univers en ruines (postcataclysme, carnages et pillages, planète-dépotoir) ; et les expérimentations génétiques.

On peut déceler dans tout le recueil une perception plutôt négative de la nature humaine. Avec une ironie maligne, Bergeron place ses personnages dans des situations qui rendent plus apparentes les contradictions de l’être humain. Dans « Bonne fête, univers ! », des Chinois viennent de percer le mystère de l’âge véritable de la Terre. Tous s’apprêtent à souligner en grande pompe le quinze milliardième anniversaire de naissance de la planète. Mais tout saute avant même que les festivités ne commencent. Un individu, quelque part, a enclenché le processus de « destruction symétrique ». C’est la fin du monde. Même les petits génies ingénus précieusement gardés à bord du vaisseau se métamorphosent en terribles monstres sanguinaires… « Une analogie de la vie éternelle » décrit, dans une atmosphère de foire et de fête, un monde à l’agonie. Le même contraste se retrouve dans « Revoir Nymphéa » où l’humour et la fantaisie surgissent au milieu de détritus et de vieilles ferrailles… Alain Bergeron aime tourner les choses en dérision. Et attention, car ses décors s’ouvrent comme des boîtes de Pandore…

Plusieurs personnages sont dominés par le mal ; ils prennent plaisir au massacre et à la souffrance. D’autres, en quête de pouvoir et de richesse, écrasent tout ce qui leur fait obstacle. La cruauté, la violence et la mort sont donc omniprésentes dans le recueil. Dans « Rêves d’anges », un groupe d’infogénéticiens procède à des expérimentations sur des peuples disséminés dans l’univers. Ironiquement, l’androïde chargé d’observer l’évolution de quelques races s’avère plus « moral » et « humain » que ses maîtres, obsédés par l’horreur dont ils cherchent à atteindre le paroxysme (ce paroxysme se trouve au fond d’eux-mêmes, mais ils ne le voient pas…). Dans plusieurs autres nouvelles, l’intolérance et la corruption conduisent aux pires atrocités : génocides, oppression, exploitation, meurtres.

Vision pessimiste ou simplement lucide ? Chose certaine, que ce soit par ignorance, par peur, par inconscience ou par pure méchanceté, l’homme travaille à sa propre destruction. Il semble bien que le bonheur ne soit qu’une illusion qui toujours lui échappe… Les personnages échouent dans leur quête (ils « perdent » toujours quelque chose), et les rapports humains comme les rapports amoureux sont marqués par l’hypocrisie et la défiance. Les femmes se trouvent particulièrement malmenées : elles sont niaises et sèches, séductrices et dévoreuses, perverses, rongées par l’amertume. Les plus belles et les plus intelligentes nourrissent les fantasmes des héros. Quant aux plus équilibrées, elles ne survivent jamais…

Malgré les clichés qui persistent dans la représentation de certains personnages, la séduction opère. C’est que la part d’émerveillement est grande. Les idées et les images inusitées foisonnent. Il y a la description luxuriante du jardin en plein centre de l’univers (une variante originale du thème de la fin du monde) ; la fantaisie colorée de Nymphéa ; les simulacres fascinants de l’Infante ; la folie de l’Oiseau-rat alors que se joue le sort du monde ; l’orgue à traitement de signes qui remet en question les grandes théories sur l’enchaînement des événements dans l’Histoire ; les voyages de la conscience dans le ventre des machines ; les AMEs qui règlent leurs comptes à l’aide des logs ; la description des mœurs sur Engels-3 ou le mystère d’Agnel…

Que dire, pour terminer, sinon que Corps-machines et rêves d’anges est un livre remarquable, fort bien écrit, et qu’il porte sa part de rêve et de désespoir, à l’image de ce que nous sommes… [RP]

  • Source : L'ASFFQ 1997, Alire, p. 22-25.

Prix et mentions

Prix Boréal 1998 (Meilleur livre)

Grand Prix de la science-fiction et du fantastique québécois 1998

Références

  • Bérard, Sylvie, Letttes québécoises 87, p. 35.
  • Bérard, Sylvie, XYZ 53, p. 103-105.
  • Hamel, Yan, Québec français 107, p. 16.
  • Mercier, Claude, Proxima 2-3, p. 108.
  • Sauvé, Christian, Solaris 123, p. 33-34.