À propos de cette édition

Éditeur
Boréal Express
Genre
Fantastique
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
244
Lieu
Montréal
Année de parution
1984
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Le Maria Teresa G., cargo céréalier italien, accommode aussi quelques passagers. Il amorce sa traversée de l'Atlantique en direction des Grands Lacs. À son bord, Fillipo Giusti, commandant, Fabiani, le lieutenant et second, Culic et son chien Vrag, Serena Klein Todd et la petite Eva, passagers. Le commandant, dans ses moments libres, revoit le défilement de sa vie, l'échec de son deuxième mariage. Il écrit à sa fille une longue lettre dans laquelle il analyse lucidement son passé et son avenir. Il pense être amoureux de Serena, si belle et mystérieuse. Fabiani, lui aussi, rejette graduellement son passé devant l'amour qui l'étreint. Quant à Culic, c'est un homme obsédé par le sexe. Il s'est embarqué dans l'espoir que le Maria Teresa G. rencontre le fameux bordel flottant dont il a entendu parler à terre par bien des marins. Reste Serena, la belle passagère, qui semble flotter au-dessus de tout ce qui se passe, de plus en plus mystérieuse, envoûtante. Il y a aussi la légende de cette nef que des filles de joie auraient fait construire voici quatre cents ans afin d'aller chercher sur place ces beaux mâles qui étaient leur gagne-pain. Une tempête l'aurait coulée et elles se seraient retrouvées sous l'eau, immortelles et possédant des facultés surprenantes. Voyant cela, elles auraient décidé de reconstruire un bateau, Les demoiselles de Numidie, afin d'aller quérir sur la mer Océane les représentants du sexe mâle dont elles seraient toujours friandes. Lorsque le Maria Teresa G. frôle, aveuglé par un banc de brume, un bateau étrange qui semble posséder des voiles, les rumeurs vont bon train et le comportement de Serena, debout sur l'avant du bateau, comme une figure de proue, inquiète. Puis ce sera la tempête dans laquelle Culic disparaîtra. Quelques jours plus tard, par une nuit très claire, Les demoiselles de Numidie s'approchera à nouveau du Maria Teresa G., mais cette fois pour embarquer définitivement l'équipage envoûté par Serena, qui n'est autre que la commandante de ce vaisseau de l'au-delà.

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Commentaires

Marie José Thériault est reconnue pour la qualité de sa prose. Les Demoiselles de Numidie, son premier roman, n’enlèvera rien à sa réputation, loin de là. L’auteure manie, comme il est dit en quatrième de couverture, « …avec aisance une langue sensuelle et fastueuse… ». Dès les premières lignes, l’écriture nous happe et nous entraîne dans les méandres de ses circonvolutions, fastueuses certes, mais jamais redondantes.

Roman sur la mer, roman sur le mythe, Marie José Thériault crée au départ une atmosphère totalement maritime, avec ses sensations de vastitudes, de solitude et de mystères. Depuis toujours, l’Homme a écrit sur la fascination que provoquent ces vastes étendues. Marie José Thériault s’inscrit dans cette lignée grandiose d’écrivains – qui comprend entre autres Poe, Verne, Hodgson… pour ne nommer que les fantastiqueurs – qui ont su exploiter ce thème primordial qu’est la mer.

Mais la mer n’est qu’une partie de ce livre. D’une certaine façon, nous pourrions dire que la mer sert de décor et que l’amour forme le véritable sujet, si ce n’est que les deux, de par l’intrigue, sont inextricables. À vrai dire, Marie José Thériault entremêle ces deux thèmes pour pouvoir mieux nous parler de l’un et de l’autre. Car si la relation du marin avec la mer en est souvent une d’amour, où les fascinations de la beauté, de la puissance et du mystère se confrontent à différents niveaux, il en est de même pour la relation homme/femme.

C’est ainsi que l’auteure nous fait pénétrer dans la conscience du commandant Giusti, aux prises avec un mariage difficile, confronté à une passagère qui éveille en lui tout ce qu’il croyait mort depuis longtemps. Même chose pour Fabiani, le second, lui aussi attiré par Serena la mystérieuse. Mais Serena n’est-elle pas le symbole de cette mer qui les a ravis à des femmes et enfants qui attendent sur le continent, n’est-elle pas pour eux cette mer faite chair, à la beauté exquise, qui comprendra leur amour pour ces éternelles errances ? Belle, indomptable, mystérieuse… En fait, je pense que cette dualité est à la base du roman. Serena est tant la Mer que la Femme, et elle réussira à les attirer à elle comme les sirènes de la légende.

Culic, le passager libidineux, me semble montrer l’antithèse nécessaire à faire ressortir le propos. Lui qui s’est embarqué essentiellement pour pouvoir aborder le fameux bordel flottant, se trouvera à être séparé du groupe. Il ne recherche pas l’amour, n’en reconnaît même pas l’existence : seul compte pour Culic l’utilisation du partenaire, sa consommation. Sa fin m’apparaît comme extrêmement symbolique, puisqu’il s’enfonce dans la boue nauséabonde du vaisseau-fantôme et finit par s’y engloutir. En fait, la dernière phrase le concernant nous dit : « La mer a englouti l’homme ».

On pourrait reprocher au roman de Marie José Thériault un certain manque de péripéties. Il n’y a pas beaucoup d’action pendant cette traversée. Quelques événements plus matériels auraient été bienvenus et n’auraient pas brisé l’atmosphère oppressante. Heureusement, il y a la relation sur l’histoire du vaisseau-fantôme, écrite en vieux français, qui coupe agréablement. Le ton y est joyeux, humoristique, légèrement paillard. Cette partie fantastique rompt agréablement avec la tradition d’un au-delà triste et miséreux que l’on nous donne normalement dans ce genre d’explication. Par contre, les chapitres concernant la lettre de Giusti à sa fille m’ont paru un peu trop long, légèrement ennuyeux à l’occasion.

Certains reprocheront à Thériault d’avoir trop écrit son roman. Pour ma part, sauf quelques exceptions près, je pense que la lecture reste toujours simple, malgré le style ciselé à l’extrême. Le lecteur moyen pourrait se sentir perdu cependant dans la multitude de termes maritimes, toujours exacts mais souvent peu usités. Un lexique aurait pu pallier à cet inconvénient.

Les Demoiselles de Numidie, tout compte fait, fera date dans les annales de la littérature fantastique québécoise, et même internationale s’il a la chance d’être exporté. Tant le style que l’intrigue force l’admiration, et il en est de même pour le traitement thématique original que leur a imposé Marie José Thériault. Un livre majeur de la littérature québécoise. [JPw]

  • Source : L'ASFFQ 1984, Le Passeur, p. 103-106.

Références

  • Émond, Maurice, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VII, p. 218-219.
  • Janelle, Claude, Solaris 60, p. 7-8.
  • Mativat, Daniel, imagine… 30, p. 131-132.