À propos de cette édition

Éditeur
Fleuve Noir
Titre et numéro de la collection
Grand format – SF
Genre
Science-fiction
Longueur
Novelette
Paru dans
Escales 2001
Pagination
93-140
Lieu
Paris
Année de parution
2000
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Un « errant » canadien, itinérant sans domicile fixe ressemblant à un ancien combattant de 1968, revient à Paris au milieu du XXIe siècle après que la VIe république, régime raciste et autoritaire d’inspiration lepéniste, eût été renversée. Il renoue avec une ancienne camarade de résistance à ce régime, laquelle l’engage pour identifier un espion industriel au sein de son équipe de recherche.

Pour mener son enquête, il se documente auprès d’une ancienne amie qui travaille avec les derniers lecteurs, chargés de la numérisation des livres avant qu’ils ne soient définitivement enfermés dans une bibliothèque de préservation. Ce faisant, il découvre que les textes numérisés ne sont pas nécessairement identiques à la source. Il mène à bien son enquête et se révèle par là être au service du nouveau régime. Puis l’errant reprend la route, hanté de doutes et de questions.

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Commentaires

Le cadre technologique de cette nouvelle est à peine fictif, plutôt anticipatif, extrapolatif. Plusieurs des innovations décrites existent d’ores et déjà en laboratoire. Le lecteur est à peine dépaysé par la technologie ambiante. Aussi n’est-ce pas le sujet, ni même le principal élément du récit.

Pour ce qui est du titre, il ne se justifie que par une incidente du récit, la visite aux archives du protagoniste, qui est amené à soupçonner un gauchissement systématique des textes par les archivistes chargés de leur numérisation. L’idée n’est pas neuve : elle remonte bien avant le roman 1984, aux compilateurs et traducteurs de toutes les époques, dont saint Jérôme et Isidore de Séville sont les plus éminents, qui ne rendent compte de leurs sources que partiellement, quand ce n’est pas avec partialité, et aux lecteurs qui ne poussent que rarement au-delà d’ouvrages de seconde ou troisième main sans jamais aller à la source vérifier sur les textes originaux la justesse des interprétations. Le danger de désinformation, en plus d’être véritable, est tout à fait contemporain. Cela dit, le titre est trompeur en ce qu’il met en relief un élément somme toute mineur de cette nouvelle. J’aurais aimé que cet aspect soit traité davantage.

Le sujet principal est en somme l’évolution personnelle de vieux marginaux, d’anciens contestataires plus ou moins rangés, et les problèmes éthiques afférents. Cette partie est assez savoureuse pour qui fut adolescent à Paris en 1968. Nombre d’anciens combattants de 1968 se sont en effet révélés des plus insérés dans le système qu’ils critiquaient violemment, et les années 80 et 90 furent celles de toutes les désillusions autant que celles de toutes les trahisons et autres retournements de vestes assortis de mauvaise conscience, les moindres n’étant pas celles consécutives à l’élection du parti socialiste et de François Mitterrand le 10 mai 1981. Les références à cette nouvelle d’anticipation sont donc à chercher dans l’histoire française récente.

Quant à la VIe république française et ses séquelles, Jean-Louis Trudel brosse ici un portrait par trop pessimiste de la société française, vue avec des lunettes anglo-saxonnes. Sa VIe république est relativement peu crédible, surtout dans le cadre de l’Union européenne. S’il n’est hélas ! que trop vrai qu’il y a en France des xénophobes patentés, des nostalgiques du régime de Vichy et des nazillons du Front national ou autres ersatzs nationalistes, il est non seulement peu vraisemblable, mais encore un peu insultant de présenter la société française entière comme fondamentalement raciste. Il faut connaître intimement le contexte français, et le juger avec d’autres yeux que ceux de l’Ontario, pour voir tout ce qu’il y a de controuvé dans cette fiction qui fleure bon la dénonciation.

Si l’éventualité d’un régime autoritaire et nationaliste en France ne relève hélas ! pas que de la fiction, la modernité ne trouve pas ici son compte, et un tel régime advenant, ce serait plus insidieusement qu’il assurerait l’ordre public – qui ne serait pas un ordre nouveau. C’est également faire un procès d’intention mal venu que d’écarter du revers de la plume le problème sécuritaire, qui pour être localisé n’en est pas moins tristement véritable.

Le danger totalitaire ou, pour le moins, autoritaire, est donc loin d’être exclu. Les germes sont présents dans tous les pays qui se pensent civilisés, en Europe comme aux Amériques. En ce sens, une nouvelle comme celle-ci constitue une saine vaccination. Je trouve seulement qu’il est par trop facile de soupçonner les Français, comme peuple, de telles tendances, eux qui ont connu la collaboration, puis les ratonnades et la guerre d’Algérie, ce qui les a précisément exposés aux antigènes. Cela dit, il n’est pas exclu qu’un rappel soit nécessaire avant la fin du siècle, mais je doute qu’il prenne une forme aussi radicale que ce qui est décrit ici. [TS]

  • Source : L'ASFFQ 2000, Alire, p. 174-175.

Prix et mentions

Grand Prix de la science-fiction et du fantastique québécois 2001