À propos de cette édition

Éditeur
Logiques
Titre et numéro de la collection
Autres mers, autres mondes - 1
Genre
Fantasy
Longueur
Novelette
Paru dans
Dérives 5
Pagination
123-151
Lieu
Montréal
Année de parution
1988
Support
Papier

Résumé/Sommaire

L’Intuitive Zyine est envoyée sur Dzètassis afin de ramener le Prince Rel auquel serait lié un problème social d’envergure. Habité par de riches rentiers terriens, qui se transforment en Morts lors de leur téléportation/ transmutation, cet astéroïde est depuis peu le théâtre d’un phénomène inquiétant : sous l’effet d’une torture volontaire, de nombreux Morts se métamorphosent en Vivants.

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« Notre sang coule, riche et splendide ; nos cris de souffrance résonnent puissamment sous les voûtes ; la mort, si elle survient, est effilée comme une lame d’acier ou un croc d’ivoire. […] la beauté du monde est sans cesse disponible, toujours renouvelée. Voilà pourquoi nous sommes vivants. » Ces paroles d’un Voulque, dans « Au fond des yeux », auraient pu être prononcées par un Vivant de Dzètassis. Elles soulignent à tout le moins la profonde filiation entre « Devenir vivante » et d’autres récits d’Esther Rochon, comme « La Nappe de velours rose » et Coquillage.

Voulque, nautile, Xil, mutant ou Vivant, le monstre apparaît fonda­mental aux récits de Rochon. Il actualise des émotions profondes ; anormal par définition, il incarne la douleur, suscite fascination et répulsion. Image de souffrance mais aussi de beauté, il conduit à une nouvelle naissance. Au fond des yeux, de la douleur, réside un appel constant à la réconciliation, à la vérité intérieure.

La figure du monstre s’intègre à une réflexion sur soi et à une quête de la vérité qui fait cohabiter laideur et beauté, joie et haine, vie et mort. « Devenir vivante » se révèle une variation particulièrement réussie sur ce thème central de l’œuvre de Rochon. A travers une écriture fluide et non dénuée d’humour, qui fait ressortir la violence désespérée du protagoniste, l’auteure nous invite à apprivoiser la réalité de Dzètassis. Le récit prend la forme d’une enquête qui permet de brosser un tableau convaincant de la réalité sociale et émotive des habitants de l’astéroïde.

Pour s’adapter aux particularités de celui-ci, les Terriens subissent une transmutation biologique cruciale en ce qu’elle modifie profondément le corps. Ils deviennent les Morts, anthropomorphes à peau grise et aux sens émoussés. C’est pour se sentir vivants qu’ils acceptent la torture qui les rendra Vivants, êtres à peau rouge et à six membres. Morts et Vivants sont asexués – indice significatif. Zyine note aussi la proximité des salles de torture et des églises, associe la souffrance à un succédané de l’orgasme. Masochisme ? Ce type de plaisir sexuel, ancré dans la culpabilité et la souffrance, s’inscrit dans un rituel. Le pacte puissant de tortionnaire à victime, qui fonde les relations Morts/Vivants, répond à cette idée de rituel.

Mais cette quête de la souffrance, et la beauté qui s’en dégage, va au-delà de la question sexuelle. L’asexualité des personnages souligne le malaise devant une situation physique et émotive globale, le jeu des instincts de vie et de mort. La quête de souffrance traduit la crise de la société dzètassienne, incarnée en Rel.

Dominé par la haine de sa différence, la monstruosité de son état de transmuteur, il s’inflige la torture dans une volonté d’auto-destruction. Un désespoir cruel et fascinant : entraînés par son énergie flamboyante, les Morts s’imprègnent de sa douleur d’être. Le passage de victime à tortion­naire va au-delà du sadisme : la pulsion de mort signale le désir de vie.

L’expérience de la douleur transforme les Morts en chrysalides : à leur naissance, ils sont devenus vivants, des Vivants. Rel, le Roi à l’Esprit Libre, naît réellement lorsqu’il accepte le monstre en lui et en voit la beauté. Ce n’est pas un hasard qu’il se soit rematérialisé à travers l’Œil, centre de la salle de consultation des Intuitifs, des Visionnaires et des Transmuteurs d’Anid, astéroïde d’origine de Zyine. Cette ouverture sur l’espace reflète l’ouverture sur soi, la réconciliation où la douleur de vivre se transmute désormais en paix et en sérénité. La vie jaillit de l’expérience acceptée de la douleur d’être, du talent de transmutation intérieure. Et Zyine, grandie par le spectacle de la torture et le pacte amorcé avec Rel, devient elle aussi vivante.

Texte sensible, aux émotions brutes, « Devenir vivante » interpelle un lecteur séduit d’emblée par l’écriture superbe, la richesse science-fictionnelle. À déguster. [SB]

  • Source : L'ASFFQ 1988, Le Passeur, p. 144-145.