À propos de cette édition

Éditeur
Le Cercle du Livre de France
Genre
Science-fiction
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
171
Lieu
Montréal
Année de parution
1978
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Pabst travaille pour le ministère des Ressources naturelles du Manitoba en cet été 1965. Il arpente les forêts au nord de la province pour dénombrer les arbres par espèces. Il est jumelé à un boussolier du nom de Garry. Un jour, lui et son compagnon découvrent un homme pendu à un arbre mais tous deux se taisent de retour au camp. Quand ils reviennent sur place, le cadavre a disparu.
Un peu plus tard, Pabst remarque un dérèglement de la boussole de l’hélicoptère qui les dépose en forêt quand l’appareil atterrit à proximité du lac Mahani. Ce fait n’est pas sans l’intriguer car une légende court dans la région et chez les Indiens au sujet de ce lac. De plus, le forestier a consulté des photos aériennes du lac sur lequel apparaît une mystérieuse tache carrée. Il a aussi découvert un couloir secret sous une trappe, dans une cabane abandonnée non loin de cet endroit.
À la fin de sa journée de travail, après avoir éprouvé toutes sortes de difficultés à effectuer ses relevés parce que la boussole de Garry faussait les données, Pabst se rend compte qu’ils se sont égarés. Au cours de la nuit, il s’éloigne quelque peu du bivouac improvisé et tombe sous le charme d’une musique proprement envoûtante. Il se laisse guider par la mélopée qui le conduit au lac Mahani. Là, il est pris en charge par un Indien, Thomas Captain, qui l’introduit dans le repaire souterrain de monsieur Yujiro Okada. Celui-ci s’est bâti un palais en marge de la civilisation et pratique un art de vivre constitué d’un mélange de culture et de sexualité. Dix-sept femmes dévouées veillent au bien-être intellectuel et physique du maître. Cependant, Pabst doit revenir au camp forestier mais il ne pense plus qu’à son séjour chez Okada.
À l’occasion d’un congé de quelques jours, il retourne chez son nouveau maître spirituel. Quand celui-ci se sera fait arrêter par un agent de la Gendarmerie royale après avoir tué Thomas Captain qui a trop parlé et qu’il se sera fait hara-kiri, Pabst le remplacera dans le royaume secret du lac Mahani.

Commentaires

Le Diable du Mahani est un récit étonnant que bien peu d’amateurs de SFQ connaissent, je le crains. Et c’est dommage parce que c’est dans ce roman que se révèle le véritable auteur qu’est Jean-François Somcynsky bien plus que dans La Planète amoureuse paru en 1982 et sans doute plus connu. Dans cette œuvre publiée en 1978, Somcynsky soutient un projet ambitieux et emballant qui tient à la fois du roman réaliste à son meilleur et de l’utopie. En effet, Le Diable du Mahani possède des qualités exceptionnelles comme témoignage de la vie en forêt. Ce roman a la force d’un documentaire tant les observations du narrateur sont justes. L’auteur met à profit sa propre expérience comme « timber cruiser ». L’accent de vérité qui s’en dégage donne au roman la même qualité et la même valeur qui caractérisent certaines œuvres d’Yves Thériault. Comme lui, Somcynsky sait d’instinct appréhender la nature et décrire les liens qui l’unissent à l’homme. Ce rapport n’est pourtant pas placé sous le signe du lyrisme ou du romantisme car le personnage de Pabst refuse tout romantisme.
Par ailleurs, le monde souterrain de monsieur Okada offre le modèle d’une société utopique réussie. Le Diable du Mahani est le seul exemple d’une érotopie viable dans la SFQ. Cela est d’autant plus étonnant que le roman de Somcynsky est paru au plus fort du mouvement féministe qu’il ignore complètement d’ailleurs, comme s’il n’avait jamais existé. Cela explique peut-être le silence qui a entouré aussi la parution de ce roman. Par la suite, Somcynsky a tenté de répéter l’exploit, de repousser les limites de l’érotopie, si tant est que celle-ci possède des limites, mais ses tentatives ont échoué. Il n’a jamais pu recréer cet équilibre précaire dans La Planète amoureuse ou dans plusieurs autres nouvelles, la part de la culture et de l’érudition ne faisant pas le poids avec celle de la sexualité.
Dans Le Diable du Mahani, Somcynsky évite la description complaisante d’orgies et de fantasmes érotiques. Les plaisirs de l’esprit ne sont pas moins importants que ceux du corps. Okada, et plus tard Pabst, réalisent en quelque sorte le vieux rêve des Grecs de l’Antiquité. « Mais il ne s’agit pas pour moi de faire l’amour, ni de consolider ma solitude. Il s’agit de me libérer du destin en le maîtrisant. » (p. 132). Ainsi se résume la philosophie d’Okada. Certes, la conception de cet art de vivre qui conjugue la sexualité et la culture, l’instinct et la connaissance, qui présente l’acte sexuel comme une véritable œuvre d’art, a quelque chose d’élitiste. Bien peu sont appelés et sont dignes de faire partie de ce royaume. Et l’attitude d’Okada à l’égard des femmes avec lesquelles il vit apparaît plus généreuse que celle de plusieurs héros ultérieurs de Somcynsky qui affichent un comportement de machos.
Par ailleurs, l’anti-utopie érotique est représentée par Jos Richard, mari jaloux qui séquestre pratiquement sa femme dans une cabane au fond des bois et qui tue les hommes qui ont osé lui faire la cour. Ce personnage est le repoussoir d’Okada : il est brutal, rustre et inculte. Il connaît parfaitement la forêt mais il n’a aucune culture. Okada impose sa supériorité en affichant un équilibre parfait entre les pulsions primitives et les capacités intellectuelles de l’homme.
Un autre point qui étonne dans ce roman concerne la façon qu’a l’auteur d’opposer cette érotopie à l’utopie révolutionnaire. Son personnage est un ancien révolutionnaire désillusionné. Il ne croit plus en l’humanité et se désintéresse totalement du monde. Ce nouveau misanthrope se méfie de l’amour et refuse de s’emballer pour quoi que ce soit, mais la société édifiée par Okada, autosuffisante (sauf pour la nourriture) et indifférente au destin du monde, lui convient parfaitement. Je pense qu’il est assez significatif que le modèle qui lui est proposé ne provient pas de la civilisation occidentale. Pabst ne croit plus dans ses valeurs. Son maître à penser est Japonais et ce faisant, Somcynsky paie un tribut à cette société orientale qui a élevé à un haut degré de raffinement l’art et l’érotisme.
La force et la réussite du roman de Somcynsky reposent en bonne partie aussi sur le personnage du narrateur. Pabst impose sa présence parce que l’auteur lui a donné un passé trouble et riche, une conscience lucide sans être désespérée. Il y a dans sa révolte, dans son rejet de la société et de l’humanité bête et stupide une filiation avec les personnages de Réjean Ducharme. Son ambition n’apparaît pas démesurée, même s’il se comporte presque comme un dieu après avoir succédé à Okada, alors que les autres personnages de Somcyncky tombent dans l’excès et véhiculent une symbolique lourde et simpliste.
Enfin, l’intérêt du roman est maintenu d’un bout à l’autre car le récit bénéficie d’un mélange équilibré de descriptions du travail en forêt et de perceptions extrasensorielles de nature à créer un climat onirique fascinant. En outre, l’écriture est remarquablement fluide et dépouillée, évitant de pécher par des envolées poétiques contre le refus du romantisme affiché par le narrateur. Son récit des événements qui se sont produits il y a plusieurs années déjà n’entretient aucune visée hagiographique ou mythomane.
Le Diable du Mahani est donc un roman important dans la production de Jean-François Somcynsky parce qu’il indique la voie de l’utopie érotique réalisable. Si Jean Pabst dit refuser de croire aux idéologies et aux idéaux, l’auteur, lui, du moins à cette époque, ne s’en prive pas. Que s’est-il passé par la suite pour que l’utopie se transforme peu à peu en dystopie ? Il y a sûrement une histoire de(s) femmes là-dessous. 
[CJ]

  • Source : Les Années d'éclosion (1970-1978), Alire, p. 368-371.

Références

  • Fortier, Pierre, Dictionnaire des écrits de l'Ontario français, p. 246.
  • Gouanvic, Jean-Marc, imagine… 6, p. 45-51.
  • Janelle, Claude, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VI, p. 229.