À propos de cette édition

Éditeur
Québec/Amérique
Titre et numéro de la collection
Littérature jeunesse - 11
Genre
Science-fiction
Longueur
Novella
Format
Livre
Pagination
111
Lieu
Montréal
Année de parution
1989
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Avec ses compatriotes, les Impurs de la race des Marais, JHU travaille à la cueillette des cristaux dont est extrait le tyl, une substance dont fait une grande consommation le peuple qui domine la planète, les Gobeurs de cris­taux. JHU est le plus jeune de la cellule de six personnes à laquelle il appartient. Comme le veut la tradition, c’est lui qui devra conduire JIR, le vieillard de son groupe, au Domaine des Sans Yeux quand il aura perdu la vue après avoir travaillé des années près des fourneaux qui transforment les cristaux. Dans la religion des Impurs, le Domaine des Sans Yeux repré­sente le paradis, la récompense ultime de leur Dieu YI après une vie de labeur et de soumission.

L’heure est arrivée maintenant pour JIR de faire face à son dieu. JHU recon­duit JIR au Domaine accompagné d’une escorte de deux soldats qui veillent à ce que l’adolescent ne pénètre pas dans ce domaine situé à l’autre bout d’un dédale de souterrains métalliques ou à ce qu’il ne s’enfuit. Le retour à peine amorcé, JHU profite d’une attaque de taupes géantes pour échapper à ses gardes et revient sur ses pas. Ce qu’il découvre à la sortie le laisse complètement désemparé : le Domaine des Sans Yeux est un précipice au fond duquel repose une montagne de cadavres et d’ossements. Ébranlé dans ses convictions religieuses, JHU s’engage dans le désert où il rencontre un groupe de nomades, les Porteurs de tuniques, issus du croisement des Gobeurs de cristaux et des Impurs. Ces rebelles veulent mettre fin à la domination et à l’exploitation dont sont victimes les Impurs. JHU apprend certaines choses mais n’est pas encore convaincu que l’attitude vindicative et belliqueuse des Porteurs de tuniques présente la meilleure solution, mê­me si sa foi dans le Dieu YI vacille de plus en plus.

Profitant d’une nuit de brouillard, il fausse compagnie à ceux qui l’a­vaient recueilli et se dirige vers la ville de Qual, là où demeurent les dirigeants Gobeurs. Capturé, il sera soumis à une expérience médicale quand on lui inocule le virus qui décime les Gobeurs de cristaux sur leur planète d’origine et que le tyl avait réussi à neutraliser pendant quelques décennies. Il apprendra bien d’autres choses sur son peuple, sur sa planète, sur le Dieu YI grâce à des enregistrements audio-visuels conservés dans les entrailles de la ville.

Commentaires

Jacques Lazure avait retenu mon attention avec la publication de son recueil La Valise rouge en 1987. Presque toutes des nouvelles réalistes, en fait une nouvelle fantastique et un récit de SF. La force des situations et l’efficacité de l’écriture m’avaient impressionné. C’est pourquoi je n’ai pas hésité à réclamer Le Domaine des Sans Yeux quand est venu le temps de répartir les textes entre les commentateurs pour les recensions de L’An­née… Je me félicite encore de mon choix car même si le roman de Lazure fait partie de la littérature de jeunesse (l’éditeur mentionne « à partir de 14 ans »), il m’a intéressé du début à la fin comme lecteur adulte. J’aurais bien aimé avoir eu des livres de cette qualité quand j’avais cet âge. Je suis per­suadé que Le Domaine des Sans Yeux m’aurait laissé un souvenir impérissable.

Le roman de Jacques Lazure me semble important à plus d’un titre. La SF québécoise pour jeunes propose actuellement peu d’œuvres présentant des univers significativement différents de la civilisation terrienne. Souvent le récit se déroule sur la Terre ou sur une planète de notre système solaire. Les thèmes que les auteurs abordent reflètent, de façon à peine transposée, les préoccupations quotidiennes des jeunes. Le roman de Jacques Lazure va au-delà de ces œuvres qui affichent un vernis SF mais qui ne servent guère l’esprit de la science-fiction.

Ainsi, il présente un peuple vraiment porteur d’altérité bio-écologique (pour reprendre le mot de Jean-Marc Gouanvic), les Impurs de la race des Marais. Ce nom leur a été donné par ceux qui les tiennent en soumission parce que les Impurs se nourrissent de la boue des marais. Ils s’appellent en réalité les Izlus. Il ne faut pas se laisser influencer par l’illustration de la couverture, signée Jocelyne Bouchard. Elle ne rend pas justice à l’esprit du roman et ne reflète pas la morphologie des personnages de Lazure. Elle fait trop dans la joliesse et il ne suffit pas de mettre des oreilles en forme de nageoires aux deux Yzlus pour traduire leur différence.

L’auteur montre comment les Gobeurs de cristaux ont réussi à faire accepter sans trop de difficulté leur domination en détournant à leur profit les croyances religieuses profondes des Yzlus. Le dogme religieux est la pierre angulaire de l’asservissement de ce peuple pacifique et résigné. Lazure ne manque pas aussi de souligner l’importance de la tradition orale et de la langue, derniers éléments qui peuvent sauver les Impurs de l’alié­nation totale. Le décor de la planète, appelée Boule de cendre, participe aussi à la création de l’altérité : quelques marais, beaucoup de sable, de la brume et à peu près aucune végétation.

Ce qui frappe dans Le Domaine des Sans Yeux, c’est la dimension mythique du récit. Les enseignements du vieillard JIR, qui reviennent constamment à l’esprit de JHU, rappellent l’existence d’une prophétie an­nonçant la venue d’un Libérateur. JHU apparaît dans le récit comme une figure messianique. De la même façon qu’on a pu dresser un parallèle entre l’histoire d’E.T. et le passage du Christ sur la Terre, on peut souligner la similitude de la trajectoire de JHU et du destin de Jésus : séjour au désert, tentation de la violence (incarnée par les Porteurs de tuniques), acceptation de son rôle, JHU se jetant dans la gueule du loup en se rendant dans la ville de Qual, souffrance, agonie.

Le roman se termine là, sans qu’on sache si JHU survivra au virus qu’on lui a administré et si son peuple sera libéré. Peut-être, après tout, JHU n’est-il pas le Messie attendu mais seulement son Précurseur, Jean-Baptiste ? Il est possible aussi que Jacques Lazure envisage une suite même si le mot FIN est inscrit à la dernière page. De toute façon, j’aime bien la manière dont l’auteur termine son roman. Il rompt assez brutalement avec le schéma classique de la libération des peuples tenus en esclavage. De plus, contrairement aux auteurs de SF pour jeunes au Québec, Lazure ne fait pas dans le dénouement heureux. La situation de JHU à la fin du roman est plutôt désespérée.

La richesse de son imaginaire, la prégnance de l’essence véritable de la SF dans son récit, la capacité d’innovation dont il fait preuve m’autorisent à croire que l’auteur marquera la SF québécoise pour jeunes. C’est certai­nement l’auteur le plus intéressant à se manifester dans ce domaine depuis l’émergence de Denis Côté en 1983. Sans simplifier à outrance et sans exacerber les antagonismes, on peut dire que Jacques Lazure représente une troisième voie entre Daniel Sernine et Denis Côté.

Je ne serais pas surpris que Le Domaine des Sans Yeux se retrouve parmi les finalistes du Prix du Gouverneur général, section littérature de jeunesse. Il mériterait certainement cette distinction. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1989, Le Passeur, p. 112-114.

Prix et mentions

Prix Québec/Wallonie-Bruxelles 1993

Références

  • Le Brun, Claire, imagine… 54, p. 115-116.
  • Lortie, Alain, Solaris 90, p. 42.
  • Madore, Édith, Les 100 livres québécois pour la jeunesse qu'il faut lire, Québec, Nota bene, p. 158-159.
  • Rivard, Chantale, Québec français 78, p. 102.
  • Sarfati, Sonia, La Presse, 23-09-1989, p. K 8.