À propos de cette édition

Éditeur
L'instant même
Genre
Science-fiction
Longueur
Novelette
Format
Livre
Pagination
95
Lieu
Québec
Année de parution
1999
ISBN
9782895021162
Support
Papier
Illustration

Résumé/Sommaire

Des couleuvres géantes envahissent la ville-île, suscitant davantage l’émerveillement des habitants que la peur ou la terreur. Un nouveau rapport à la réalité s’installe, qui transforme le quotidien de la majorité des citadins. Pour l’homme d’affaires Eugène Hyde, magnat du divertissement hollywoodien, la présence des reptiles représente une occasion en or de diffuser en exclusivité des images qui dépassent la réalité. Pour Charles Hoffen, cet ancien cadre revenu de tout qui se terre dans sa chambre d’hôtel, la vue de ces couleuvres sur son écran de télévision donne un sens à sa vie alors qu’il s’identifie à ces reptiles fabuleux qui règnent sur la ville.

Pour les jeunes squatters qui ont élu domicile sous les combles du marché aux puces (Mélissa Bridge, Tania, Puce et Fleur), la présence des serpents géants amène chacun d’eux à transgresser les lois sociales sans trop se soucier des conséquences de leurs actes, comme si l’immunité dont jouissent les reptiles les protégeait eux aussi en dépit de leurs écarts de conduite. Après avoir encouragé et exacerbé le désir sexuel d’un pauvre type, Mélissa se donne à lui puis le castre. De son côté, Fleur vole l’auto d’un vieux rentier et se paie une poursuite policière digne des meilleurs films d’action américains. Puce, le souffre-douleur, l’éternel humilié, prend sa revanche sur la vie en apprivoisant une des couleuvres et en montant sur son dos. Son exploit est retransmis par les caméras de Hyde et lui vaut une célébrité instantanée. Ayant surmonté sa peur et son manque de confiance en lui, voilà Puce prêt à affronter le monde et à se tenir debout devant ses semblables.

Commentaires

À la lumière de ce résumé – très difficile à rédiger car le récit est morcelé et rend davantage compte de l’état d’esprit des personnages que de leurs actes –, on peut légitimement se demander si Du virtuel à la romance de Pierre Yergeau est un roman de science-fiction. Ce n’est certainement pas le titre, qui conviendrait mieux à un essai, qui peut nous fournir un élément de réponse. Malgré tout, l’œuvre de Yergeau peut être considérée comme un récit de science-fiction car les couleuvres qui envahissent la ville-île (Montréal) ne sont pas qu’un accessoire ou un prétexte. Ces bêtes fabuleuses sont au cœur du récit, elles déterminent le comportement des principaux personnages et elles nourrissent une très riche métaphore sur la société québécoise. Cette présence, qui ouvre et qui ferme le récit, est constamment rappelée par les agissements des divers protagonistes. Sans cette altérité zoomorphique, le roman n’a plus sa raison d’être.

Du virtuel à la romance est un roman atypique dans la production québécoise comme tout ce que fait Pierre Yergeau d’ailleurs, et encore plus dans la production québécoise de science-fiction. Pour illustrer l’étrangeté de ce roman fascinant à bien des égards, brillant par moments mais agaçant à d’autres, je dirais qu’il est un croisement de l’œuvre d’Esther Rochon et de celle de Marie-Claire Blais. Ces couleuvres géantes qui prennent possession tout naturellement des rues de la ville rappelleront aux amateurs de SF les créatures extraterrestres qui envahissent Montréal dans la nouvelle d’Esther Rochon, « Nourrir les fantômes affamés », reprise plus tard sous le titre de « Xils ». (On pourrait aussi penser à d’autres créatures monstrueuses qui se révèlent pourtant bienveillantes comme le nautile dans Coquillage.) Le caractère débonnaire de ces êtres, l’ouverture d’esprit de l’auteur à leur égard rapprochent grandement Yergeau de l’œuvre de Rochon.

Par ailleurs, la parenté avec Marie-Claire Blais provient des figures révoltées de la jeunesse et de l’humanité souffrante des personnages. Les frasques des jeunes squatters et leur marginalité, la dérive morale de Puce et de Fleur, le besoin obsessif d’amour de Mélissa, tout cela rappelle les jeunes écorchés vifs de l’œuvre de Marie-Claire Blais (Pauline Archange, David Sterne, Pierre). Et la critique sociale sous-jacente qui structure et nourrit le discours narratif de Pierre Yergeau n’est pas très éloignée de celle que l’auteure d’Une saison dans la vie d’Emmanuel distille dans ses portraits implacables de la société nord-américaine de consommation. À cette différence près que Yergeau utilise ici une métaphore (ces couleuvres qu’il réussit à nous faire avaler !) pour disséquer les comportements sociaux d’un groupe témoin à la faveur d’un événement exceptionnel qui change la perception du monde des différents protagonistes et leur rapport aux autres.

Si certains enjeux sont clairement exprimés, le cynisme et l’appât du gain du capitaliste Eugène Hyde, la transformation de Puce qui passe de l’humiliation à l’assurance, voire à l’arrogance, la sublimation de la prostration de Charles Hoffen en un fantasme de puissance, d’autres ne sont pas suffisamment développés. Ainsi, le personnage de Mélissa Bridge demeure énigmatique et difficile à saisir. D’abord, quelle est la signification de cette pierre tombale qui porte son nom ? Et cet homme qu’elle poursuit de son amour-haine et qu’elle finit par castrer, serait-ce son meurtrier ? Mélissa n’a pourtant rien d’un fantôme…

Sur le plan métaphorique, Du virtuel à la romance charrie une puissante charge contre la société québécoise. « Sauveurs d’une communauté qui s’épuisait à attendre le messie », les couleuvres servent de révélateurs à une société engluée dans le matérialisme et dans le rêve capitaliste pour qui la venue de ces êtres fabuleux constitue un formidable stimulant pour l’industrie touristique. Elles servent aussi de prétextes à la médiocrité dans laquelle se complaisent les individus et, par l’immunité dont elles jouissent, incitent certains d’entre eux à transgresser des interdits. « L’invasion des couleuvres semblait une preuve frappante que l’Histoire se compose d’une suite de destins ratés, de fausses manœuvres commises sous le coup des circonstances. […] Les mouvements des couleuvres dans les rues transportaient chacun, à peu de frais, dans un univers merveilleux. Cette grâce inespérée les consolait de cet amas d’erreurs privées qu’ils avaient commises au nom de l’amour ou de la vanité. »

Ces serpents, en soi, ne sont porteurs d’aucune valeur morale mais en forçant chaque individu à se définir par rapport à eux, ils mettent à jour une société immature, qui a perdu ses repères moraux. « Les couleuvres nous appartenaient, comme le sol sur lequel nous marchions. Cette illusion nous imposa un degré d’abjection digne de nos efforts. Nous allions au désastre comme d’autres se rendent à la fête. » Le constat de Pierre Yergeau est, on le voit, terriblement accablant. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1999, Alire, p. 179-181.

Références

  • Anonyme, Le Libraire, vol. 1, n˚ 4, p. 6.
  • Audet, René, Québec français 116, p. 11.
  • Chartrand, Robert, Le Devoir, 11/12-09-1999, p. D 3.
  • Martel, Réginald, La Presse, 19-09-1999, p. B 4.
  • Navarro, Pascale, Voir (Québec), 07/13-10-1999, p. 26.
  • Rinfret, Marie-Josée, XYZ 62, p. 95-96.