À propos de cette édition

Éditeur
Maclean Hunter
Genre
Science-fiction
Longueur
Nouvelle
Paru dans
Châtelaine, vol. IX, n˚ 2
Pagination
22-23 ; 44 ; 46 ; 48
Lieu
Montréal
Année de parution
1968

Résumé/Sommaire

Afin d’assurer l’avenir de sa femme et de ses enfants, Jean a accepté, il y a des années, de devenir inspecteur stellaire et de patrouiller dans le cosmos. Depuis ce temps, il se trouve enfermé dans une capsule, assis sur un fauteuil dont il ne peut se lever, branché sur des machines qui assurent sa nutrition et contrôlent tous ses organes. Tous les jours, depuis que sa cabine est tombée sur une planète inabordable, il est soumis à un contrôle de la Terre qui vérifie si tout va bien. Mais en cette douzième journée du mois de pleurefeuilles, quelque chose d’insolite se produit : Delphine, son seul lien avec la Terre depuis qu’il est dans la capsule, est bien au rendez-vous sur l’écran de la vidéo, mais elle est vêtue de façon bizarre. Elle finit par lui révéler que depuis quelque temps, les humains subissent des crises étranges qui les font inexorablement reculer dans le temps, éventuellement jusqu’à l’originelle naissance. Elle-même est revenue à l’époque où Jean, le seul qui semble échapper à ce mal mystérieux, a entamé son long voyage. Avant de ne plus se rappeler de lui, elle lui demande d’être leur sauveur, à elle et à ce qui reste de la race humaine. Mais le lendemain, Delphine n’est déjà plus au rendez-vous. Un ordinateur apprend à Jean qu’il n’y a plus d’humains sur Terre, qu’il ne reste que des robots, mais qu’avec l’ordre d’un homme, ils ont le pouvoir de recréer la vie…

Commentaires

À la fin des années 1960, époque où cette nouvelle a été écrite, l’optimisme face à l’utilité et au pouvoir de la science n’était déjà plus ce qu’il était au début du XXe siècle. En fait, depuis les deux guerres mondiales, cet optimisme ne cessait de décroître. C’est pourquoi le texte de Jacques Dupont, publié en 1968, a de quoi surprendre : les machines, les robots, s’ils n’y sont pas élevés au rang de dieux (ils détiennent leur puissance et leur intelligence des humains et ne peuvent recréer la vie qu’avec l’ordre d’un homme ; ici, c’est l’homme qui est vu comme un dieu) ne sont quand même pas loin d’être déifiés. En effet, c’est finalement grâce à leur existence que la vie humaine pourra renaître sur Terre. C’est également grâce à eux que Jean survit dans sa capsule. Ce dernier ne meurt d’ailleurs qu’à la fin de la nouvelle lorsque, désespéré et furieux de la mort de Delphine, il arrache les câbles qui le relient aux machines.

Cette nouvelle de Dupont dénote donc une grande confiance dans l’utilité sociale de la science et même un certain scientisme – l’un des plus grands problèmes philosophiques de tous les temps, la mort, pouvant ici être résolu par la technologie. À cause de cette conception de la science, « En ce jour du 12 pleurefeuilles » se rapproche davantage de la science-fiction traditionnelle que de la science-fiction dite moderne où le scientisme est tempéré par un certain pessimisme – ou un pessimisme certain.

La nouvelle comporte cependant des faiblesses qui font que le lecteur ne joue pas le jeu, ne croit pas à l’univers fictif. L’un des principaux défauts du texte tient au fait que l’auteur semble pressé d’en arriver à la conclusion, ce qui entraîne de regrettables invraisemblances, par exemple le fait que tous les humains soient morts une journée seulement après que Delphine ait informé Jean du fait que les humains sont la proie de crises qui les font reculer dans le temps. Elle-même n’en était qu’à sa première crise et elle avait affirmé à Jean que “certains subissent une seule crise par semaine, quelques-uns deux par jour”. Dans ce contexte, comment expliquer que tous soient morts en l’espace de vingt-quatre heures ? Une autre faille de la nouvelle provient de la narration elle-même. Cette dernière est sèche, trop sèche, ce qui fait que le lecteur n’est pas ému par le destin, pourtant tragique, du protagoniste. L’auteur a beau décrire les états d’âme de Jean – et c’est justement là le problème, les émotions du protagoniste font l’effet de simples descriptions –, il n’arrive pas à lui insuffler assez de profondeur pour que le lecteur soit touché.

Finalement, il est permis de se demander à quoi Jacques Dupont a bien pu penser quand il a rédigé le dernier paragraphe de son texte. Substantiellement, il y est écrit qu’une armée de fourmis se déplacent sur la planète où la capsule de Jean est jadis tombée, transportant des parcelles d’acier dans leurs mandibules. Nous avons eu beau nous creuser les méninges, nous demander s’il ne s’agissait pas là d’un obscur symbole, nous sommes restée perplexe. Ce paragraphe n’a absolument aucune raison d’être, il n’apporte rien de plus à la nouvelle et vient même affaiblir la finale qui était d’une certaine beauté. En effet, suivant la mort de Jean, décédé après avoir donné l’ordre aux machines de recréer la vie sur Terre, il y avait cette très belle phrase : « À peine était-il né qu’un dieu venait de mourir. » L’auteur aurait décidément dû s’arrêter là.

Nous nous en voudrions de ne pas faire une dernière remarque : le mot vidéo – quand il est employé comme nom et non comme adjectif, cas dans lequel il est invariable – est de genre féminin et non masculin. Jacques Dupont l’emploie à cinq reprises dans sa nouvelle et fait l’erreur à chaque fois. [SN]

  • Source : La Décennie charnière (1960-1969), Alire, p. 77-79.