À propos de cette édition

Éditeur
imagine…
Genre
Fantasy
Longueur
Nouvelle
Paru dans
imagine… 67
Pagination
43-54
Lieu
Sainte-Foy
Année de parution
1994
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Merlin l’enchanteur est, à notre époque, éveillé de son sommeil sans âge par la voix cristalline d’une jeune femme travestie en homme qui, paradoxalement, se nomme Silence. Grâce aux indications de Taliéssin lui-même, elle s’est enfoncée au cœur de Brocéliande, jusqu’à L’Esplumoir*, pour proposer à l’illusionniste de devenir le conseiller personnel de son père, dernier roi de la Terre. Quand Merlin s’étonne de son accoutrement, elle lui explique qu’on l’a fait passer dès son jeune âge pour un garçon, question qu’elle puisse demeurer l’héritier de la couronne, rôle traditionnellement masculin. Le subterfuge lui a valu quelques ennuis, dont la haine de sa belle-mère, Enferne, puisque cette dernière, ne se doutant de rien, est en vain tombée amoureuse de son « beau-fils ».

Bien entendu, le vieux magicien accédera à la demande de la jeune fille et la suivra jusque dans le royaume de son père, pour ensuite faire éclater au grand jour la vérité et prophétiser la naissance d’une nouvelle ère : celle où les femmes régneront sur la Terre.

* Nom que l’on a donné à l’antre de Merlin, au cœur de la forêt de Brocéliande.

Commentaires

Le numéro 67 de la revue imagine… avait pour thème la renaissance des Temps anciens. Jean Marcel a puisé dans la matière de Bretagne pour ressusciter le mage le plus sage et le plus craint des légendes arthuriennes : « Jean Marcel […] lève, avec [ce récit], l’un des plus beaux mystères de la littérature médiévale : il nous révèle ce que devient Merlin l’enchanteur après ses apparitions dans le monde arthurien et après un sommeil long d’un millénaire ».

Il va sans dire qu’étant un médiéviste réputé, Jean Marcel s’est inspiré des écrits du Moyen Âge pour asseoir son récit. On le constate tant dans sa structure narrative, qui rappelle celle des Romans de la Table Ronde de Chrétien de Troyes*, que dans la teneur allégorique du propos et des protagonistes. Par exemple, les appellations hautement symboliques (Silence, Enferne, etc.) rappellent Le Roman de la Rose, dans lequel les personnages incarnent une qualité, un défaut, une circonstance de l’histoire, etc. De plus, le père de Silence se nomme Évain, déformation moderne d’Yvain, clin d’œil évident à de Troyes puisqu’il s’agit d’un de ses héros les plus célèbres (Yvain ou le chevalier au lion).

Par ailleurs, Jean Marcel sollicite, dans sa nouvelle, la symbolique des nombres ; en ce sens, Merlin prédit qu’il « rira trois fois » durant son périple ; l’allusion à ce chiffre, omniprésent dans la Bible et renvoyant à la perfection divine, met de l’avant l’omniscience et la sagesse millénaire de Merlin qui, comme les dieux, peut se permettre de tourner en dérision les humains et leurs vaines aspirations. D’ailleurs, Marcel met en évidence le pouvoir colossal du magicien à travers les cataclysmes qui se déclenchent sur son passage, et l’exagération mise en œuvre dans la narration n’est pas sans rappeler le genre médiéval de l’épopée.

Par ailleurs, l’Esplumoir compte 72 fenêtres, chiffre qui renvoie au septenarium**, également très présent dans la Bible parce qu’il renvoie à la Genèse*** et représente notamment « la totalité du réel, voire du possible. Le décuple septénaire (Saint-Augustin) correspond à la totalité d’une évolution, un cycle évolutif étant complètement achevé ». Or, l’éveil de Merlin correspond à chaque fois à la fin d’un Cycle, d’une ère. C’est également le cas dans cette nouvelle, où le magicien ressuscite pour proclamer notre époque « l’Ère du féminin ». Un cycle est à nouveau achevé dans l’histoire de l’Humanité.

De ce fait, la nouvelle de Jean Marcel, si elle ne l’embrasse pas nécessairement, semble rendre hommage à la cause féministe. Dans cette perspective, le nom de la jeune protagoniste a été choisi à dessein, puisque c’est précisément pour sortir les femmes du « Silence » que l’illusionniste est ramené à la vie. Sur son passage, ce dernier réveille deux dragons, l’un rouge et l’autre noir, qui symbolisent manifestement la guerre des sexes : « Ils s’entredévorent […] sans pouvoir s’anéantir l’un l’autre ». Il illustre ainsi le principe d’équité et montre également comment, précisément à cause de leurs différences, l’homme et la femme, même s’ils doivent entrer en conflit pour cela, ont besoin l’un de l’autre pour évoluer (le yin et le yang) : « [Les deux dragons] s’assurent que tout ordre qui règne soit bientôt changé en son contraire, aussi longtemps qu’il y aura la terre ».

Figure marginale et forte des légendes arthuriennes, Merlin l’enchanteur est un être de transition qui, à chacune de ses apparitions, contribue à l’évolution de l’engeance humaine en s’attachant à des êtres d’exception qui tendent à repousser leurs limites pour guider leurs semblables vers un destin nouveau. En cela, l’auteur de « L’Esplumoir » a fait preuve d’un grand discernement en faisant revivre le magicien pour l’associer au combat qui a le plus bouleversé les schèmes de pensée et les valeurs de notre monde contemporain. Il a également su insuffler, grâce à la poésie enchanteresse de sa plume, un peu de magie à « l’âge de la postmodernité », bien terne pour en être dépourvu. [JBC]

* Notamment, comme Chrétien de Troyes le faisait dans ses romans pour se justifier ou asseoir sa crédibilité, le narrateur, Heldris, s’adresse directement au lecteur à la fin de la nouvelle.
** Les nombres dans la dizaine des 70.
*** Dieu a créé le monde en sept jours, selon la Bible.

  • Source : L'ASFFQ 1994, Alire, p. 118-120.