À propos de cette édition

Éditeur
XYZ
Titre et numéro de la collection
L'Ère nouvelle - 4
Genre
Hybride
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
86
Lieu
Montréal
Année de parution
1990
Support
Papier

Résumé/Sommaire

[4 FA ; 1 SF ; 2 HG]
La Courroie incurvée
Le Cinq sous
Un bruit dans la nuit
Erreur sur la personne
Cou de cigogne
De l'autre côté
L'Esprit en fureur

 

Commentaires

Il y a des personnes comme ça destinées à jouer les seconds violons tout au long de leur vie. La carrière littéraire de Gérard Gévry s’est amorcée sous ces auspices. Il a été finaliste en 1980 et en 1981 au prix Robert-Cliche et a dû se contenter chaque fois de la deuxième place. Il tente maintenant sa chance dans la nouvelle en publiant un premier recueil, L’Esprit en fureur. Marqués par le fantastique, cinq de ces sept textes en illustrent différentes facettes, des plus anciennes aux plus modernes. C’est d’ailleurs dans cet ordre que sont présentées les nouvelles.

Le recueil s’ouvre sur un texte qui relate un fait étrange survenu dans une petite usine de pâte à papier, sur la rivière Coaticook. « La Courroie incurvée » tient plutôt de l’insolite même si le récit fait mention d’une légende indienne voulant « que l’eau de la rivière venue d’outre-frontière possédait des pouvoirs que nulle force humaine ne devait entraver ». L’auteur, consciemment ou non, rejoint tout un courant de la littérature du XIXe siècle qui s’inspire abondamment des légendes profanes, religieuses ou améridiennes. On peut certes trouver une explication rationnelle à la disparition du bureau, de deux chaises, d’une boîte à lunch et du veilleur de nuit dans le moulin à papier. Mais alors, quelle serait la véritable identité du narrateur et son rôle dans ces événements bizarres ?

La nouvelle ne répond pas à cette question et demeure énigmatique. Dans l’optique d’une lecture fantastique, le narrateur serait le diable ou un sorcier amérindien, ce qui est plausible. Le mystère qui entoure l’identité du narrateur constitue le principal intérêt de cette nouvelle, sinon le seul, car la construction du récit manque de rigueur. On arrive mal à reconstituer la chronologie des événements. L’action du préambule (la disparition de la boîte à lunch) est-elle antérieure ou postérieure à la disparition du quêteux engagé comme veilleur de nuit ? En outre, le contenu manque de profondeur et demeure bien peu exploité. Si « La Courroie incurvée » peut se lire comme une vague défense de l’intégrité de la nature, la fable écologique ne sert pas la cause qu’elle défend en se mettant au service d’un texte réactionnaire.

« Le Cinq sous » se réclame des mêmes origines littéraires mais est beaucoup mieux construit. Cette nouvelle puise aux sources du fantastique religieux et rappelle l’atmosphère de plusieurs contes de Pamphile Le May. Le thème abordé par Gévry est celui de l’orgueil. Le curé de la paroisse de Saint-Dominique-du-Rosaire verra son église incendiée par Satan parce qu’il a péché par orgueil. La nouvelle est sans bavure même si le propos apparaît quelque peu passéiste.

« Un bruit dans la nuit » est résolument plus actuel. Il s’agit de l’histoire émouvante d’un vieux couple qui attend tranquillement la mort. Elle viendra une nuit. Angéla et Ernest emporteront avec eux leur secret car les circonstances de leur décès demeurent mystérieuses aux yeux des enquêteurs. La mort n’emprunte pas nécessairement les traits d’un squelette armé d’un faux ou d’une belle jeune femme. Plus insolite que fantastique, cette nouvelle offre un beau moment de tendre complicité entre deux vieillards.

« Erreur sur la personne » serait une nouvelle tout à fait banale si ce n’était le gadget – une paire de lunettes qui permet d’avoir une vue plongeante – qui en fait une nouvelle de SF. Cette histoire de vengeance qui confond la victime et le bourreau donne lieu à une fin prévisible.

« Cou de cigogne » est certes la nouvelle la plus étrange du recueil. Le narrateur éprouve un double sentiment d’attraction et de répulsion face à un être monstrueux doté d’un long cou recourbé qu’il rencontre sur le trottoir. Le narrateur, qui a un crime sur la conscience, se sent à nu devant cet être au regard pénétrant et insoutenable. Même mort, il continuera à hanter le narrateur. Il se dégage de cette nouvelle un climat envoûtant qui en fait une des mieux réussies du recueil. Cette nouvelle fantastique de facture classique constitue en fait une allégorie sur le remords.

Les deux dernières nouvelles font appel à un fantastique plus métaphysique, voire cosmique. « De l’autre côté » commence comme un mauvais récit d’épouvante alors que l’auteur étire un peu trop la sauce. Tout le monde aura deviné bien avant le protagoniste que la bête monstrueuse qui se tapit dans l’ombre est son chat. Mais l’auteur n’en reste pas là et relance la nouvelle en lui assignant des ambitions plus grandes qui paraissent, avec le recul, trop élevées. Le protagoniste est happé ou phagocyté par une entité et est réduit à errer de l’autre côté de la réalité, sans corps, en compagnie de son chat qui a subi le même sort. Ouais ! La conclusion est confuse à souhait et table sur une conception métaphysique à bon marché.

« L’Esprit en fureur », qui clôt le recueil, est mieux réussi à ce niveau. Le personnage principal se trouve projeté à la fin de son expérience de spiritisme dans une ville inconnue, inhabitée semble-t-il, et recouverte de poussière en suspension. Image saisissante et inquiétante, mais le parcours qui mène à ce dénouement n’est pas sans fautes. Le récit souffre, à mon avis, d’une invraisemblance de taille. Comment croire que le vieillard qui a invité le narrateur à participer à une séance de spiritisme en compagnie de son club n’ait pas pris des précautions plus grandes ? Pourquoi a-t-il couru le risque d’être réduit, lui et ses compagnons, en poussière si l’invité ne respectait pas la recommandation capitale de garder un silence absolu ? Tout cela manque de crédibilité et contribue à diminuer l’efficacité de la nouvelle. C’est dommage parce qu’elle se termine sur une vision saisissante et angoissante, point culminant de l’intensité constante qu’elle charrie.

Il se produit un drôle de phénomène dans le cas de Gérard Gévry. Les textes dont la construction ne révèle aucune faille demeurent des œuvres mineures tandis que les nouvelles les plus ambitieuses et prometteuses sont affaiblies par des défauts majeurs – invraisemblance, longueur, confusion – qui  en  limitent  la  réussite  de  façon  singulière.  Syndrome  de  l’éternel second ? L’Esprit en fureur n’est pas un mauvais recueil, loin de là, mais pour aspirer au rang des meilleurs recueils fantastiques, il lui aurait fallu des atouts supplémentaires. Par exemple, que ces récits soient plus solides au plan narratif et que l’écriture, compétente mais sans éclat et sans surprise, insuffle un élan irrésistible à ces nouvelles poussives. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1990, Le Passeur, p. 92-95.

Références

  • Bélil, Michel, imagine… 54, p. 81-82.
  • Gervais, Jean-Philippe, Solaris 92, p. 19-20.
  • Nolin, Stéphanie, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 309-310.